
Le rapport rendu public vendredi 20 juin par la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance financière, le blanchiment et le contournement des sanctions internationales dresse un constat implacable : le blanchiment d’argent gangrène l’économie française. Estimé entre 38 et 58 milliards d’euros par an, soit environ 1,3 % du PIB, ce phénomène s’insinue dans les circuits économiques traditionnels : BTP, cryptomonnaies, commerces éphémères et même tickets de loto. «Le blanchiment est le trafic le plus lucratif en France», résume le sénateur RDSE Raphaël Daubet, qui co-préside cette commission avec Nathalie Goulet, rapporte Public Sénat.
Fruit de plus de 50 auditions (ministres, magistrats, policiers, journalistes, experts européens), le rapport sénatorial avance une cinquantaine de mesures pour lutter contre la délinquance financière et le blanchiment qui en est une composante importante. Parmi elles : renforcer les contrôles sur les petits commerces en ciblant les zones les plus exposées, imposer la vérification systématique de l’origine des fonds lors du rachat d’une entreprise, ou encore élargir les missions de l’Agence française anticorruption.
Une cinquantaine de recommandations listées par le Sénat
Pour le sénateur Grégory Blanc (divers gauche), vice-président de la commission, ces recommandations visent aussi à mettre fin à une «juxtaposition de dispositifs» et à instaurer «une culture commune de la lutte contre l’argent sale» indique-t-il à Ouest-France. Le parlementaire appelle à une meilleure coordination des administrations, un maillage territorial plus dense et des moyens humains renforcés. En résumé : à passer d’une approche morcelée à une stratégie nationale cohérente.
Le rapport pointe aussi l’instrumentalisation des failles juridiques entre pays et le manque de contrôle sur les sociétés civiles immobilières (SCI) et les fonds étrangers, notamment dans le cadre du rachat de commerces. Il plaide également pour une extension des sanctions : aligner celles prévues pour la corruption privée sur celles de la corruption publique, et renforcer les moyens des organes de sanction pour garantir leur effectivité.
Protéger les lanceurs d’alerte… et leur entourage
Autre axe fort du rapport : la protection des lanceurs d’alerte, considérée comme un levier crucial dans la détection des réseaux. Aujourd’hui, cette protection juridique ne s’active qu’à l’ouverture d’une enquête. Grégory Blanc plaide pour un déclenchement dès le signalement, afin de sécuriser les personnes exposées aux représailles. Le texte préconise même d’étendre cette protection à l’entourage des lanceurs d’alerte ainsi qu’à toute personne en contact avec les réseaux visés. Car le blanchiment, au-delà des chiffres, constitue aussi une menace directe pour la démocratie et l’État de droit. «Il affaiblit la confiance dans les institutions», rappelle Grégory Blanc, insistant sur la nécessité de transformer ces propositions en lois effectives.
Le rapport sénatorial détaille les trois étapes typiques du blanchiment : la «bancarisation» des avoirs, leur superposition à travers de multiples opérations destinées à brouiller les pistes, et enfin leur réinjection dans l’économie légale via, entre autres, la captation d’aides publiques ou... le rachat de tickets gagnants. «Vous gagnez 200 euros à un jeu de hasard. Je vous rachète votre ticket 270 euros avec de l’argent sale et voilà comment j’en blanchis 200», explique Nathalie Goulet. Les sénateurs espèrent désormais un engagement fort de l’exécutif. Car les milliards envolés chaque année pèsent lourd sur les finances publiques, l’équité fiscale et la justice sociale. «Ce rapport ne doit pas rester lettre morte», conclut Grégory Blanc.


















