Trois mois après la fin du procès concernant l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, le parti à la flamme est de nouveau soupçonné d’irrégularités financières à Strasbourg. Le RN ainsi que les autres partis membres du groupe parlementaire Identité et Démocratie (ID), aujourd’hui remplacé par les Patriotes pour l’Europe, présidé par Jordan Bardella, aurait «indûment dépensé», 4,33 millions d’euros entre 2019 et 2024.

C’est ce que révèle un rapport confidentiel de la direction générale des finances du Parlement européen. Ce document a été consulté par le journal Le Monde ainsi que ses partenaires : l’émission de télévision allemande Kontraste, le magazine Die Zeit et l’hebdomadaire autrichien Falter. Tous accusent le Rassemblement national et les autres partis membres du groupe Identité et Démocratie d’avoir enfreint les règles du Parlement européen. Quelques jours après la publication de cette enquête, le Parquet européen annonce l’ouverture d’une procédure visant le RN ainsi que ses alliés.

3,6 millions d’euros de factures irrégulières

Sur un total de 4,33 millions d’euros, 3,6 millions correspondraient à des factures irrégulières. La majorité de cette somme aurait été versée à l’agence de communication e-Politic qui aurait perçu 1,7 million d’euros après un appel d’offres «purement formel» et entaché de «graves problèmes de conformité» selon le rapport. Les inspecteurs bruxellois estiment ainsi que «toutes ces dépenses (...) sont irrégulières». La société Unanime aurait quant à elle reçu plus de 1,4 million d’euros pour des travaux d’impression, sous-traités à moindre coût avec une marge évaluée à 260 000 euros par le Parlement européen.

Ces deux sociétés sont liées à des proches de Marine Le Pen : son ancien conseiller Frédéric Chatillon et son épouse Sighild Blanc. Le couple ainsi que d’autres membres du parti qui s'appelait encore à l'époque Front national ont déjà été condamnés pour escroquerie et abus de biens sociaux lors de l’affaire «des kits de campagne» pour des faits remontant aux législatives de 2012. L’ancien patron du GUD (Groupe union défense), un syndicat d'extrême droite dissous en 2024, a pourtant été désavoué par Marine Le Pen, en raison de son soutien affiché à une manifestation d’un groupuscule d'ultradroite à Paris.

700 000 euros de dons à des associations hors du périmètre des «activités politiques de l’UE»

Ces sommes sont versées chaque année par le Parlement européen à chacun des groupes politiques qui y siègent. Ces crédits doivent obligatoirement être affectés au fonctionnement opérationnel du groupe politique ou à des actions en lien avec les «activités politiques de l’Union européenne». Or, les inspecteurs du Parlement européen considèrent que les dépenses du groupe Identité et Démocratie n’ont «aucun lien» avec leurs activités politiques. Refuge pour animaux, amicale de sapeurs-pompiers, initiative anti-avortement en Allemagne, soutien aux vétérans de la Légion étrangère… Plus de 700 000 euros ont été distribués en cinq ans à diverses associations souvent liées à des proches d'eurodéputés ou situées dans leur région d’élection.

L’ancien secrétaire général d'Identité et Démocratie, le Belge Philip Claeys, interrogé par Le Monde, a dénoncé des «allégations incorrectes». Il a assuré que «tous les paiements effectués dans les cinq dernières années ont été dûment facturés, justifiés et contrôlés». Mardi, Jordan Bardella a dénoncé «une nouvelle opération de harcèlement de la part de l'administration du Parlement européen». Sa patronne, Marine Le Pen qui a par ailleurs saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) concernant l'affaire des assistants parlementaires du RN pour demander la suspension de sa peine d'inéligibilité, sans succès, a, quant à elle, affirmé jeudi 3 juillet sur RTL, ne pas avoir eu connaissance du sujet : «Je ne sais pas ce qu’il en est, je n’ai pas regardé ce dossier.» Mais «il peut y avoir des désaccords administratifs avec le Parlement européen» et «on va essayer, encore une fois, de les résoudre», a-t-elle ajouté, avant de qualifier l'institution d'«organe politique (qui) mène à l'égard de son opposition une guerre de tranchées» et lui «cherche des noises matin, midi et soir, en toutes circonstances».

Perquisition au siège du RN

Le président du Rassemblement national Jordan Bardella a annoncé mercredi 9 juillet qu'une perquisition était en cours au siège du parti à Paris, menée selon lui par «une vingtaine de policiers de la brigade financière» et «deux juges d'instruction», assurant ne pas connaître son motif. «Tous les mails, documents et éléments de comptabilité du premier parti d'opposition sont saisis, sans que nous sachions à ce stade quels sont précisément les griefs qui en sont le fondement», a-t-il détaillé sans un message sur X, dénonçant un «acharnement». Le chef de parti a assuré que cette perquisition avait commencé à 8h50 mercredi et a précisé qu'elle concernait aussi «les bureaux des dirigeants». «L'intégralité des dossiers qui concernent les dernières campagnes régionales, présidentielles, législatives et européennes sont aujourd'hui entre les mains de la justice», a expliqué Jordan Bardella. Il a dénoncé une «opération spectaculaire et inédite» qui s'inscrit selon lui «dans une nouvelle opération de harcèlement». «C'est une atteinte grave au pluralisme et à l'alternance démocratique», s'est-il indigné, estimant que «jamais aucun parti d'opposition n'a subi un tel acharnement sous la Ve République». La veille, le parquet européen avait annoncé avoir ouvert une enquête sur la famille politique à laquelle appartenait le RN au Parlement européen avant 2024 pour diverses irrégularités financières, mais on ignore si la perquisition est liée à cette enquête.