«Nous sommes sur le point de révéler l'une des plus grandes fraudes comptables que la France ait connue». Après avoir épluché le dossier un bon millier d’heures, pendant plus d’un an, et produit quelque 350 pages de comptabilité pour les soumettre à des bataillons d’experts, l’avocate Sophie Vermeille a décidé de passer à l’attaque. Son cabinet Vermeille & Co s’apprête à engager auprès du tribunal de commerce une action collective contre Deloitte & Associés et Grant Thornton. Ces deux géants de l’audit étaient chargés de vérifier et certifier les comptes d’Atos, l’ex-fleuron français du numérique qui a plongé en bourse. Entre avril 2021 et avril 2024, le cours de son action a chuté de 70 à moins de 1 euro.

Plus de 1200 plaignants

Le collectif reproche à Deloitte et Grant Thornton d’avoir certifié les comptes consolidés d’Atos pour plusieurs exercices, alors qu’ils ne reflétaient pas la véritable situation patrimoniale et financière de l'ex-fleuron français du numérique. Les plaignants leur reprochent aussi de ne pas avoir alerté sur les risques pesant sur la continuité d’exploitation du groupe, malgré une situation préoccupante. Et d’avoir ainsi contribué à la diffusion d’informations fausses et trompeuses, ayant induit en erreur les investisseurs. Ceux qui ont acquis des titres Atos entre février 2018 et mars 2024 sont donc invités à se joindre à cette action collective. Il leur suffit pour cela de s’enregistrer sur la plateforme qui vient spécifiquement d’être créée pour fédérer les plaignants souhaitant participer à cette procédure baptisée Action Against Atos Auditors (en français, Action Contre Les Auditeurs d'Atos). Cette plateforme devrait être très prochainement opérationnelle.

Pour les plaignants, la démarche est gratuite. Ils n’ont pas à supporter de frais de procédure, puisque cette action bénéficie du soutien d’un fonds de litige européen. Spécialisé dans les actions de justice, ce pool d’investissement serait prêt à consacrer un budget record de 4,5 millions d’euros pour financer le procès. En cas d’échec de la procédure, les frais resteront à sa charge. Mais en cas de victoire, ce fonds prélèvera une commission sur le montant des dommages et intérêts accordés aux plaignants par le tribunal.

50 millions d'euros de pertes cumulées

A ce jour, quelque 1 200 actionnaires de l’Union pour la réparation des actionnaires d’Atos (Upra), une association de petits porteurs floués par la déconfiture boursière d’Atos, seraient déjà prêts à s’engager dans ce procès. Selon les dernières estimations, le montant cumulés de leurs pertes avoisineraient déjà les 50 millions d’euros. Mandatée directement par les actionnaires floués, maître Vermeille compte encore faire grossir le bataillon de plaignants. Outre les petits épargnants, plusieurs fonds institutionnels qui ont perdu beaucoup d’argent en achetant des actions Atos pourraient se joindre au collectif pour faire gonfler les demandes de dommages et intérêts. Tout en restant le plus discrets possible. Prendre le bouillon n’est pas la meilleure publicité quand on se prétend un investisseur avisé..

La partie est cependant loin d’être gagnée. Les actions collectives se font encore rares en France et la plupart du temps, la justice déboute les actionnaires. Mais les choses pourraient évoluer à mesure que les affaires se multiplient. En début d’année, plusieurs centaines d’investisseurs ont décidé de poursuivre Orpea, le géant des maisons de retraite rebaptisé Emeis suite au scandale provoqué début 2022 par Les Fossoyeurs, un livre-enquête qui dénonçait les maltraitances infligées à nos aînés. Fin 2023, des milliers d’épargnants qui s’estimaient trompés par H2O Asset Management se sont aussi regroupés dans un collectif pour poursuivre le gestionnaires de fonds en justice.

De leur côté, les actionnaires déçus d'Atos estiment avoir quelques atouts dans leur manche. «Avoir à nos côtés un grand fonds de contentieux européen qui accepte de financer le procès n’est pas anodin, estime Marc Prily, le président de l’UPRA qui s’est joint au collectif. Ce genre de fonds est très sélectif sur les projets qu’il accompagne et ne consent à s’engager qu’à partir du moment où il estime avoir de bonnes chances de l’emporter».

Mais la bataille promet d’être longue, et les coups bas nombreux. Pour Sophie Vermeille, ce ne serait pas une première. Déjà victime de plusieurs intrusions informatiques, l’avocate avait eu la désagréable surprise de découvrir qu’elle avait été mise sur écoute, fin 2023. Alors qu’elle venait tout juste de se pencher sur le dossier Atos.

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