
Domaine de l’Olivette, les coteaux du Castelet, à Bandol. Un de ces petits paradis où l’on produit parmi les meilleurs rosés de France. Avec ici une caractéristique rare : le domaine distribue chez quelques cavistes ou restaurants un très étonnant «Olivette 2004». Un rosé de vingt ans, bien éloigné de la norme consistant à écouler chaque saison le millésime de l’année précédente. «C’est toujours un rosé, mais c’est devenu un autre vin, un vin de gastronomie», témoigne Jean-Luc Dumoutier, actuel gérant de cette propriété familiale depuis deux siècles. Ses quelques 2004 en circulation ne sont pas vendus une fortune (38 euros), car l’exercice reste encore minoritaire au pays des cigales. «L’essentiel des amateurs sont encore attachés à la dégustation du dernier millésime en date, mais nous constatons que nos meilleures cuvées s’améliorent sur deux à cinq ans», explique Aurélie Bertin, de Château Sainte Roseline.
Ce cru classé des Côtes de Provence (situé aux Arcs) a donc décalé récemment de quelques mois la commercialisation de sa cuvée prestige La Chapelle (le 2023 était en vente jusqu’à ce printemps 2025) pour évangéliser la clientèle. «Nos premiers ambassadeurs pour les rosés avec un peu de bouteille, ce sont les sommeliers ou les cavistes, ce sont eux qui font évoluer les mentalités», témoigne Sébastien Ferrari, gérant de Château Malherbe, superbe propriété de Bormes-les-Mimosas. Pour ces professionnels aguerris, Malherbe conserve des vins de deux à trois ans minimum, comme ce 2022 très racé actuellement à la vente (30 euros). Pour la majorité qui ne peut pas attendre, la cuvée Pointe du Diable est sold out chaque fin de saison.

Des prix qui peuvent s'envoler
Bref, les rosés de garde, de gastronomie ou de terroir, selon les définitions, c’est encore un domaine expérimental, avec des prix qui s’en ressentent. La plupart des prestigieux domaines de Provence proposent des cuvées spéciales, comme Pibarnon (cuvée Nuances, le 2020 est à 35 euros), les domaines Ott (avec la très rare et chère cuvée L’étoile, 110 euros pièce), ou encore La Bégude, qui développe cette si belle couleur corail dans sa cuvée de garde L’irréductible (comptez là aussi plus de 30 euros).
Les nouveaux rois des rosés un rien bling-bling, comme Sacha Lichine (Château d’Esclans, cuvée Garrus, 110 euros), ou Gérard Bertrand (Le Clos du Temple, 200 euros), ne commercialisent pas leurs bijoux sans deux ou trois ans de bouteille. Valérie Rousselle, grande vestale des vins de Provence (Château Roubine), vient de sortir une cuvée anniversaire (pour les 30 ans du domaine) : «Héritage», un millésime 2023 facturé 40 euros.

Des vins rosés qu'on laisse vieillir
Des tarifs de grands vins. Car la plus-value de ces ambitieuses bouteilles, un peu ou passionnément âgées, réside dans la subtilité des goûts développés avec le temps, exactement comme les grands rouges ou grands blancs. «C’est pour cela que je travaille mes rosés exactement comme mes rouges», explique Reynald Delille, copropriétaire de Terrebrune (Ollioules), figure locale, justement pour le travail entrepris sur la troisième couleur depuis… les années 1980. Actuellement, il vend les millésimes 2023, 2019 et 2015 (de 23 à 29 euros), parce qu’il constate cet intérêt pour les grands rosés, qui monte imperceptiblement.
Dans sa cave aux trésors, nous avons dégusté un très rare rosé 1989, aux accents d’oranges confites, de garrigue et d’épices. Ces arômes évolués, ces parfums envoûtants constituent le Graal recherché par ces vignerons artisans. «Notre idée commune est de prouver que nos rosés haut de gamme peuvent se sublimer avec le temps, et même refléter de plus en plus les caractéristiques de chacun des millésimes qui les a fait naître», résume Jean-François Ott, héritier d’une famille qui inventa le rosé moderne dans les années 1920 – sous la férule de l’ancêtre Marcel Ott.
La recette d’un grand rosé de garde
Mais finalement, quelle est la recette d’un grand rosé de garde ? D’abord choisir une parcelle digne d’un grand rouge : «En hauteur, pauvre, bien drainée et bien orientée», détaille Jean-Luc Dumoutier (L’Olivette). Ensuite privilégier des cépages taillés pour la garde, comme le mourvèdre, qui est le roi de Bandol, et qu’il faut porter à son extrême maturité. "Pour obtenir la meilleure expression des amers, il faut réduire la production à 35 hectolitres par hectare, soit cinq grappes par pieds», explique Reynald Delille (Terrebrune).
Les vignerons utilisent aussi du grenache ou du cinsault pour obtenir ces résultats – ou parfois des raretés comme le tibouren (cuvée Héritage de Roubine). Reste enfin à laisser évoluer les vins jeunes quelques mois en cuve (comme L’Olivette), en fût (les Terrebrune passent six mois en demi-muid), ou même en amphore de terre cuite (cuvée Thyrsus, La Bégude). Comme au temps des Romains, qui importèrent l’art viticole en Provence gauloise voici deux mille ans !
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