Vers un échec annoncé ? Le conclave, organisé initialement pour «remettre en chantier» la réforme des retraites et le recul de l’âge légal de départ à la retraite, semble désormais voler en éclats. Dimanche 16 mars, dans Questions politiques (Radio France et Le Monde), le Premier ministre François Bayrou, qui avait pourtant annoncé le lancement du conclave, a affirmé qu’«un retour à 62 ans (était) impossible en raison du contexte international».

Et de préciser : «Je ne crois pas que la question paramétrique, c’est-à-dire la question de dire “voilà l'âge pour tout le monde”, soit la seule piste», insistant sur la priorité de ramener «à l’équilibre le système des retraites du privé à 2030». Des déclarations perçues comme un véritable tournant dans le dialogue social, notamment par la CGT, qui y a vu une remise en cause de l’objectif même du conclave.

Les raisons des retraits de FO, l'U2P et de la CGT

FO, premier à quitter la table. Force ouvrière a été la première organisation syndicale à claquer la porte du conclave, dès sa réunion inaugurale le 27 février 2025. Le syndicat a dénoncé une «mascarade» et un cadre de discussion trop verrouillé. FO a estimé que les marges de manœuvre étaient inexistantes et que les débats ne permettraient pas de remettre en question les fondements de la réforme de 2023, notamment le report de l’âge légal à 64 ans, qu’il continue de rejeter fermement.

L’U2P dénonce une réforme défavorable aux petites entreprises. L’Union des entreprises de proximité a, elle aussi, quitté le conclave quelques semaines après FO (le 18 mars 2025), évoquant des désaccords profonds sur les orientations prises lors des discussions. Le président de l’U2P a déclaré que les propositions actuellement sur la table ne tenaient pas suffisamment compte des spécificités des artisans, commerçants et professions libérales, et qu’elles risquaient de pénaliser lourdement ces acteurs économiques déjà fragilisés.

La CGT réagit aux propos de Bayrou et claque la porte. Le 19 mars 2025, c’est la CGT qui a à son tour décidé de se retirer des concertations. La décision fait suite aux propos tenus par François Bayrou deux jours plus tôt. La Confédération y a vu un aveu d’échec du processus et un manque de sincérité dans les échanges. Dans un communiqué, la Commission exécutive confédérale a estimé que ces déclarations changeaient la nature des discussions, les vidant de leur substance. Elle a donc proposé à ses instances de quitter officiellement le conclave, jugeant que les conditions d’un dialogue constructif n’étaient plus réunies.

Est-ce la mort du conclave sur les retraites ?

Ces départs successifs - FO, l’U2P, puis la CGT - portent un coup dur à la crédibilité du conclave, dont l’objectif était de dégager un compromis durable sur l’avenir des retraites. Privée de trois acteurs majeurs, la concertation apparaît désormais bancale, exposée au risque de déboucher sur des accords partiels, peu représentatifs et difficiles à faire accepter par l’ensemble des partenaires sociaux. Face à l’impasse qui se dessine, l’exécutif pourrait être tenté de reprendre la main. Deux scénarios émergent : relancer un nouveau cycle de négociations, ou trancher unilatéralement par voie législative. Une décision risquée dans un climat social toujours instable.

Au sein même du gouvernement, les lignes divergent. Dimanche, le ministre de l’Economie Eric Lombard s’est voulu rassurant : «Je suis certain que le Premier ministre pense que c’est aux partenaires sociaux à la fin de décider.» Il a toutefois rappelé que «les 62 ans ont un coût élevé», tout en soulignant qu’«il y a d’autres mesures qui peuvent compenser une mesure d’âge». A l’inverse, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin a tenu un discours plus tranché lundi sur Europe 1 : «La retraite à 62 ans, ce n’est pas réaliste.» Et de saluer la clarté du chef du gouvernement : «Je pense que c’est de l’honnêteté de la part du Premier ministre de le dire.»

Malgré tout, certains membres de la majorité refusent de sonner le glas du conclave. «Non, il n’est pas mort», a affirmé mardi Astrid Panosyan-Bouvet, ministre déléguée au Travail et à l’Emploi. Elle plaide pour que «ces concertations aillent jusqu’à leur terme» et défend toujours «le pari de l’intelligence collective». A ce jour, seules la CFTC et la CFE-CGC continuent de participer aux discussions côté syndicats, aux côtés du Medef et de la CPME pour le patronat.

Rappelons que lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, François Bayrou avait présenté le cadre du conclave en ces termes : «Si au cours de ce conclave, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons.» Et de préciser que le Parlement en serait saisi dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’automne 2025, «ou avant, et si nécessaire par une loi». En revanche, «en cas d’échec des négociations, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer». L’hypothèse d’une suspension de la réforme d’Elisabeth Borne n’est pour l'heure pas envisagée.