
A l’aide d’un manche (ou souris, NDLR), l’alternant sertisseur Benjamin Verleyen positionne avec dextérité sa pierre de centre – une topaze – dans le chaton d’une bague en forme d’araignée. Ce geste est l’étape ultime de finalisation de son projet. Il ne s’agit donc pas de se louper, un mauvais positionnement pourrait être fatal et faire éclater la pierre. Heureusement, Benjamin est au bon endroit pour y arriver, l’atelier de la Maison Chaumet où il finalise son CAP de sertisseur en deux ans est reconnu pour son travail autour des pierres de centre.
Bien formé, Benjamin a pris toutes les précautions en ajustant la pierre afin que celle-ci soit correctement assise, c’est-à-dire placée sur les points les moins fragiles et de façon à ce que sa pointe ne touche pas le métal. Une fois la pierre bien positionnée, il ne lui reste ensuite plus qu’à rabattre les griffes. Si sa bague avait suivi le circuit classique d’une pièce Chaumet, elle serait ensuite passée chez le polisseur, mais il ne s’agit là que d’un exercice non destiné à être produit et commercialisé.
«En tant qu’alternant sertisseur, c’est très compliqué de travailler immédiatement sur la production de pièces uniques. Le risque est trop grand, surtout quand il y a des grosses pierres», explique le jeune homme. En attendant d'être diplômé, il s’entraîne sur ses projets personnels et fait ce que dans le langage de sertisseur on appelle du «grain». Le grain, qui consiste à fixer la pierre grâce à des petites boules (des grains) qu’on déplace autour d’elle, est la technique de serti la plus répandue, même si le grand public connaît mieux le serti griffe souvent employé dans les bagues solitaires.

L’alternant sertisseur Benjamin Verleyen, 26 ans, devant son établi au sein de la maison Chaumet, avec à la main le manche qui l’aide à positionner les pierres sur un bijou.
La transmission du savoir au cœur de la formation
Pour l’heure, Benjamin fait ses exercices quand il n’observe pas son voisin de bureau, Avidis, présent dans la maison Chaumet depuis plus d’une vingtaine d’années, qui lui transmet des gestes anciens. «Ici, j’apprends des techniques que je n’aurais pas appris ailleurs, à l’école ou dans d’autres maisons», lâche le jeune homme de 26 ans qui achève son CAP à la fin de l’année. Il a beau avoir la vingtaine bien tassée, ce n’est pas si extraordinaire d’avoir des alternants de cet âge au sein des maisons. «C’est de plus en plus rare qu’on accueille des jeunes de 15 ans en CAP», confirme le chef d’atelier Benoit Verhulle.
Avant d’en arriver là, Benjamin n’a pas tellement pris son temps. Issu d’une famille de brocanteurs, il a fait des études en arts appliqués. Puis, fasciné par le travail du métal, il a entrepris un CAP en joaillerie sans trop savoir où il mettait les pieds. C’est là qu’il se passionne pour les pierres et comprend qu’il y a un métier pour ça, sertisseur. «Je pensais à l’origine que le métier de joaillier permettait de tout faire», explique-t-il.
Après une série de jobdating à la Haute Ecole de joaillerie où il réalise son premier CAP, il est pris comme alternant chez Chaumet pour passer son deuxième diplôme en deux ans. Et il loin d’être le seul, ils sont quatre alternants à plein temps dans cette maison du groupe LVMH. Si Benoit Verhulle n’est pas certain de pouvoir tous les garder à l’issu de leur CAP, notamment en raison de la contraction récente du marché du luxe, il est sûr d’une chose : il est capital de continuer à en former. «Si on ne le fait pas, c’est autant de futurs talents de demain qu’on n’aura pas», souligne-t-il.

Spécialité de la maison Chaumet, une pierre de centre (un diamant) est en train d’être positionnée par un sertisseur.
50 000 postes à pourvoir
Et on le comprend, car les besoins en recrutement dans ces métiers de la main et de l’excellence sont critiques. «Dans l’étude Les Eclaireurs, réalisée avec le ministère de la Culture, l’Institut pour les savoir-faire français et la Fondation Bettencourt, on est arrivé au chiffre de 50 000 postes à pourvoir dans ce secteur», soutient Bénédicte Epinay, déléguée générale du Comité Colbert. Un chiffre vertigineux qui touche autant l’artisan seul dans son atelier que celui au sein d’une équipe dans une prestigieuse maison d’un groupe de luxe, mais qui dit surtout à quel point l’urgence est là.
Car au-delà des problématiques de recrutement, il y a un véritable enjeu de transmission. Pour reprendre le cas de Benjamin, il faut dix ans pour faire un bon sertisseur. «La durée de formation de nos artisans est entre cinq et dix ans», précise Alexandre Boquel, directeur des métiers d’excellence du groupe LVMH. Un temps de formation long et incompressible pour sauvegarder des gestes qui peuvent potentiellement disparaître.

A l’aide de son manche, Benjamin assoit une topaze au centre de cette bague en forme d’araignée, composée par ailleurs d’oxydes de zirconium.
Une urgence à former les futurs joaillers dès maintenant
Ce d’autant plus que l’âge moyen d’un artisan est élevé. Selon l’étude Les Eclaireurs de 2024, un salarié détenant un savoir-faire d’exception sur quatre a plus de 55 ans. «Si on veut qu’ils puissent former avant de partir à la retraite et que leur savoir disparaisse, si on veut que des jeunes sachent faire un bijou pour Chaumet ou un sac pour Louis Vuitton en 2035, c’est maintenant !» tempête Bénédicte Epinay, qui passe à la vitesse supérieure en organisant les Deux Mains du Luxe, un évènement destiné à faire découvrir les métiers de la main.
Le dispositif de recrutement aussi est important au sein même de LVMH. Après la cession parisienne de son évènement You & Me en janvier dernier, le groupe est parti en tournée à Lyon, Lille, Clichy-sous-Bois, et même à l’étranger, pour sensibiliser des milliers d’étudiants depuis le collège à l’existence de ces métiers de la main. Un engagement auquel tient sincèrement Alexandre Bocquel : «On veut leur montrer que les voies de réussite ne sont pas que celles que l’on nous montre, que faire un CAP, ce n’est pas une voie de garage, que certains sont mêmes devenus des parfumeurs stars chez Guerlain avec un tel bagage». Ou même sertisseur chez Chaumet.
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