
Dévastée par la crise du quartz dans les années 1980, l’horlogerie française retrouve, depuis une dizaine d’années, un second souffle. Porté par les maisons historiques et de jeunes entrepreneurs passionnés, le secteur connaît un regain de dynamisme. Un réveil tout à fait légitime, vous diront les historiens ! Rappelons que le berceau de l’horlogerie se trouve en France, dans le Jura – un territoire longtemps déserté par ses artisans, contraints de fuir de l’autre côté de la frontière suite à la révocation de l’édit de Nantes.
Aujourd’hui, l'Hexagone figure parmi les leaders mondiaux de l’horlogerie, occupant le 5e rang des pays exportateurs de montres, et le 4e pour les composants et bracelets. En 2024, cette industrie a généré 423 millions d’euros de chiffre d’affaires (source : Francéclat). Toutefois, ses acteurs font preuve d’humilité. «423 millions, cela peut paraître peu à côté des 26 milliards de dollars que représentent les exportations suisses. Mais c’est une bonne nouvelle pour l’horlogerie française qui avait quasi disparu dans les années 1990», rappelle Pierre-Alain Berard, directeur général de Lip. Fondée en 1867 à Besançon, la manufacture reflète l'histoire mouvementée du secteur : liquidation judiciaire en 1977, relance en 2002, puis renaissance en 2010 avec relocalisation de la production de ses montres en France…

Pierre Lannier : La Monarck 316F166 se distingue par sa découpe en forme de carte de France qui révèle le mouvement automatique.
Des jeunes marques françaises qui dynamisent le marché de l'horlogerie
Et si, finalement, représenter une part infime du marché était une chance ? Pas de pression, et une liberté de ton qui permet de se démarquer de la Suisse, du Japon, de l’Allemagne ou de la Chine, les principaux pays exportateurs de montres. A la tête de la maison Pierre Lannier, fondée en 1977 par ses parents, Pierre Burgun confirme : «L’horlogerie française est très créative et ce, grâce aussi aux jeunes marques qui participent allègrement à ce dynamisme.» Parmi les figures de proue de cette nouvelle génération, March LA.B est souvent citée en exemple. Pourtant, en 2009, quand Alain Marhic, Joseph Chatel et Jérôme Mage décident d’apporter une nouvelle pièce tricolore au grand puzzle horloger mondial, personne n’y croit. «Nous avons pris le parti de nous affranchir des codes suisses. Nous avons œuvré pour mettre en exergue l’élégance à la française. Et nous avons transposé nos produits dans un autre univers que celui du golf ou du nautisme, à savoir le surf, mais aussi l’architecture moderniste ou les vieilles motos des années 1970…», précise Alain Marhic.
Lancées via des plateformes de financement participatif, Kickstarter en tête, de nombreuses start-up lui ont emboîté le pas, livrant des pièces à la fantaisie débridée, innovantes et créatives. Citons Beaubleu et ses aiguilles rondes, Trilobe et ses anneaux rotatifs, les petits bolides de Depancel, ou encore Charlie Paris qui, depuis 2014, incarne l’art de vivre à la française avec ses montres dessinées et assemblées à Paris.
Cette liberté de ton s’illustre aussi à merveille avec le modèle évolutif de Hegid, marque créée en 2018. «Ce qu’il y a de beau dans une montre mécanique, véritable objet patrimonial, c’est qu’elle n’est pas dans l’obsolescence. La seule menace, c’est la lassitude. C’est pour cela que nous avons développé le système Evol», explique Henrick Gauché, un des cofondateurs. Ce dispositif breveté permet de changer le style de la montre en quelques secondes et en toute sécurité. Comment ? Grâce à une capsule en acier – renfermant le mouvement – qui s'insère dans un nouveau boîtier et se fixe sur un nouveau bracelet en deux temps trois mouvements. Un concept qui séduit un large public, du néophyte au collectionneur averti, en passant par les architectes, les artistes ou les entrepreneurs. Résultat, les grands groupes sont à l’affût, prêts à racheter la marque.

March LA.B : Avec son boîtier octogonal au design résolument contemporain, la Mansart Petite Seconde Golden Hour incarne l’élégance à la française.
Luxe discret réservé aux initiés
S'offrir une montre française, c'est faire le choix de porter une montre différente de celle de son voisin. Chez Herbelin, maison familiale fondée en 1947 à Charquemont (Doubs), référencée parmi les marques françaises destinées aux cadeaux diplomatiques, on voit dans cet engouement «une volonté de consommer local et de valoriser les savoir-faire nationaux». Mais pas seulement. «Nos clients sont des amateurs éclairés, sensibles à l’authenticité, à la qualité et à l’histoire derrière chaque produit. Ils soutiennent aussi une certaine idée du luxe : discret, raffiné, sincère. C’est un acte d’élégance autant qu’un engagement, nous explique Maxime Herbelin, représentant de la troisième génération. Là où la Suisse mise sur la technicité, l’Allemagne sur la robustesse, et le Japon sur l’innovation de masse, la France propose une horlogerie de caractère, émotionnelle et artistique.» Les profils des clients sont variés… Il y a notamment le collectionneur qui possède déjà les incontournables Rolex, Omega et autres Cartier et veut s’offrir une pièce plus confidentielle. «Ceux qui portent nos montres ont l’impression de faire partie d’un club, réservé aux initiés. Ils sont nos meilleurs ambassadeurs», confie Alain Marhic, de March LA.B.

Herbelin : La Cap Camarat Square, au style sportif chic, allie excellence et maîtrise du savoir-faire horloger français.
Un bon rapport qualité-prix
Ce qui séduit aussi dans la montre française, c’est l’excellent rapport qualité-prix qu’elle représente. Pas étonnant qu’elle soit souvent la première vraie montre mécanique, celle du primo-accédant au budget limité. «Les Suisses font payer cher le label Swiss Made. D’autant qu’ils se sont enfermés dans la course à la communication, qui représente 30 à 40 % du chiffre d’affaires. Et c’est le consommateur final qui paie», note Pierre-Alain Berard, de Lip. Chez Pequignet, entreprise du patrimoine vivant, le prix d’un garde-temps s’envole, de 5 000 à 10 000 euros – mais son équivalent helvète coûterait le double. Et pour cause : «A Morteau, dans le Doubs, nous concevons l’ensemble de la montre, du cadran au boîtier en passant par les aiguilles et le mouvement. Nous faisons appel à quelques sous-traitants en Suisse, pour les composants que personne ne sait usiner en France, tels que le ressort du balancier spiral, le ressort du barillet, le roulement de masse ou l’amortisseur de choc. Toutefois, nous privilégions les fabricants tricolores, notre calibre initial comportant 75% de composants élaborés dans l’Hexagone.»

Pequignet : Le mouvement de haute horlogerie qui équipe la Royale Paris a été conçu et assemblé à la main dans les ateliers de Morteau (Doubs)
CEO de Pequignet, Hugues Souparis lance un pavé dans la mare : il soulève l’épineux sujet du made in France. En effet, selon la Direction générale des entreprises (DGE), pour être porteur de la mention «Fabriqué en France», un produit manufacturé doit soit tirer une part significative de sa valeur d’une ou plusieurs étapes de fabrication localisées en France, soit avoir subi sa dernière transformation substantielle dans l'Hexagone. Bref, vous l’aurez compris : même si tous les composants viennent d’Asie, il suffit de les assembler sur notre territoire pour pouvoir sortir le drapeau tricolore.

Hegid : Son concept ? Proposer une montre personnalisable (ici, la Mirage Soleil) grâce au système breveté Evol, qui permet de changer de cadran ou de bracelet en un clin d’oeil, selon ses envies.
Relocaliser la production
Pour mieux faire, la certification Origine France Garantie a été créée. Elle impose qu’au moins 50% du prix de revient unitaire du produit soit acquis en France ou que ses caractéristiques essentielles soient acquises en France. «Chez Pierre Lannier, notre nouvelle marque 1977 intègre entre 75 et 80% de composants français. Certes, cela fait grimper le prix, mais le client exigeant y est sensible», souligne Pierre Burgun, le premier surpris de voir les savoir-faire revenir s'ancrer sur le territoire national. «Pour rester compétitifs, nous avions dû délocaliser 80% de notre production à Madagascar… Et pourtant, en 2025, 82% de nos montres sont fabriquées dans le Bas-Rhin», poursuit celui qui est aussi président de France Horlogerie, l’organisme professionnel au service de la filière qui réunit 92 adhérents.

LIP : Les garde-temps Annapurna sont animés par le mouvement mécanique R26, dont 70% du prix de revient est réalisé en France.
Ces maniaques de la précision mettent tout en œuvre pour valoriser les savoir-faire d’une industrie qui emploie 3 036 salariés. Parmi les efforts notables, saluons ceux de Lip qui déploie un tout nouveau mouvement exclusif – le premier depuis les années 1970 –, le R26, dont 70% du prix de revient est réalisé en France. Ou encore Hegid, qui a mené une enquête minutieuse pour s’entourer des meilleurs artisans locaux (certains travaillent dans le secret pour des manufactures suisses). Son Calibre Hegid Specimen FE-01 est ainsi fabriqué en collaboration avec France Ebauches, producteur historique de mouvements.
Main dans la main, les acteurs de l’horlogerie française envisagent l’avenir avec optimisme. «Sous l’égide de France 2030 (un plan d’investissement qui vise à développer la compétitivité industrielle, NDLR), nous travaillons à la création d’un ECI (Espace collaboratif d’innovation) pour établir une stratégie de réindustrialisation de la filière horlogère française», avance Pierre Burgun. Objectifs ? Créer 445 emplois (+ 125%) pour la fabrication des montres et 777 pour les composants. De quoi susciter de nouvelles vocations, la France étant aussi réputée pour la qualité de ses écoles d’horlogerie.
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