Tout l’été, Matthieu Piganiol a eu les yeux rivés sur la météo. En pleine rénovation de la toiture de son atelier d’Aurillac, le PDG de la manufacture familiale espérait qu’il ne pleuve pas. Un comble pour un fabricant de parapluies ! «C’est bien la seule fois de ma vie que je ne veux aucune goutte pendant un mois», confirme le représentant de la cinquième génération aux commandes de la Maison Piganiol. L’usine, construite sans isolation avant le premier choc pétrolier, doit s’adapter et se doter de panneaux solaires. «Nous serons moins dépendants d’un coup de Poutine», espère le quinquagénaire. Et tant pis pour la trêve estivale !

Faire une croix sur les vacances, c’est le sort de bien des combattants du Made in France. Et un détail, en comparaison des difficultés récurrentes qu’ils doivent surmonter : trésorerie en tension, accident de fabrication, défaillance de sous-traitant… En 2025, plus de 67 000 entreprises ont déposé le bilan, selon Altares. «C’est 20 000 de trop», soulignait Arnaud Montebourg, qui avait œuvré, lorsqu’il était au gouvernement, à la création des commissaires au redressement productif et la réactivation du Fonds de développement économique et social (FDES).

Pénurie de main d'oeuvre et crises à répétition

Personne n’oublie son coup de communication. Souvenez-vous de la Une du «Parisien Magazine», en 2012, où marinière Armor Lux sur le torse, l’homme politique promouvait le fabriqué en France. L’image fait encore sourire, mais elle a braqué les projecteurs sur la filière, où s’embarquaient dans une même aventure les survivants des délocalisations des années 1990, ainsi que de jeunes entrepreneurs en quête de sens. Treize ans plus tard, certains lui rendent hommage. «ça a été un déclic, il a dépolitisé le made in France : c’est grâce à Montebourg que le bleu-blanc-rouge est redevenu un totem commun», reconnaît Thomas Huriez, le fondateur des jeans 1083. Or aujourd’hui, plus que jamais, entre le dumping chinois et le protectionnisme américain, la souveraineté industrielle peut à nouveau servir de projet de société.

Pénurie de main d’œuvre. Mais l’euphorie des débuts s’est heurtée à la réalité du terrain. Face à la pénurie de main d’œuvre, au manque de culture industrielle, ou au naufrage de plusieurs filières, certains ont vacillé. La Carte Française a disparu, le fabricant de lingerie 7Fashion a été liquidé, Daan Tech, qui avait pourtant vendu près de 70 000 de ses lave-vaisselle Bob, traverse une mauvaise passe. Beaucoup d’autres ont baissé le rideau à bas bruit. Même les jeans 1083 serrent les fesses depuis deux ans. «Après dix années de croissance rentable, la défaillance d’un de nos sous-traitants nous a fait perdre 50% de notre production et a désorganisé toute la chaîne d’approvisionnement», indique Thomas Huriez. Depuis, les ennuis s’enchaînent. Baisse du chiffre d’affaires, perte de l’assurance-crédit… Le mal est sévère. Après un trou de 500 000 euros dans les comptes 2023, la marque a de nouveau terminé dans le rouge en 2024. Tout l’été, le fondateur et ses soutiens se sont battus pour échapper au redressement judiciaire. «Deux années usantes», résume l’entrepreneur de 44 ans.

Relocaliser ou produire en France est un choix qui pèse sur la rentabilité de ces entreprises

Il faut dire que pour rester compétitifs, malgré des coûts de production élevés, ces acteurs ont dû inventer un modèle plus intégré, par exemple en favorisant la vente directe, ou parfois en s’occupant aussi de l’amont. Et pour que leurs produits ne deviennent pas inaccessibles, ils ont aussi rogné leurs marges. «Si on n’avait pas fait le choix de relocaliser la fabrication de notre Fabrique à histoires, on aurait pu générer deux à trois millions de résultat en plus, et on aurait été rentables en 2021», dévoile Maëlle Chassard, coprésidente de Lunii, qui commercialise des conteuses interactives et baladeurs. Autant d’efforts louables, mais qui rendent ces PME et ETI plus fragiles et sensibles aux soubresauts de l’économie.

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