Allonger l’âge légal de départ à la retraite pour améliorer le taux d’emploi des seniors et alléger la facture des pensions… Sur le papier, les objectifs des réformes successives du système de retraite sont remplis de bonnes intentions. Mais 15 ans après la réforme des retraites de 2010, qu’en est-il vraiment ? A l’occasion de la présentation du rapport de la Cour des comptes sur les impacts du système de retraites sur la compétitivité et l'emploi ce jeudi 10 février, Pierre Moscovici s’est d’abord voulu rassurant : «Les études économiques concluent que les réformes des systèmes de retraites se sont accompagnées d’une amélioration du taux d’emploi», a débuté le président de l’institution.

Pour mémoire, en 2010, le gouvernement de François Fillon décide de repousser l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Résultat : «L’emploi des personnes âgées de 55 à 60 ans augmente très nettement», constate le rapport. De 2010 à 2020, l’âge de départ effectif moyen à la retraite a ainsi progressé de 2,1 années. Mais attention, cela ne veut pas forcément dire que les Français ont travaillé deux ans et un mois de plus. En réalité, la durée passée en emploi était légèrement inférieure, autour d’un an et sept mois en moyenne. Un écart de quatre mois qui s’explique par une augmentation du temps passé en invalidité ou au chômage.

La pénibilité du travail empêche le maintien dans l’emploi

«Toutefois, cet effet observé en moyenne cache des disparités importantes», nuance Pierre Moscovici. Et les ouvriers sont les premiers à trinquer. Ces salariés, souvent soumis à des métiers pénibles, tirent l’allongement de la durée moyenne de travail d’un an et sept mois à la baisse. Selon la Cour des comptes, seulement deux tiers (66%) de ce temps ont été effectivement passés en emploi pour les ouvriers, contre 85% pour les professions intermédiaires et les cadres. Autrement dit, pour un allongement de deux ans de l’âge de départ à la retraite, les ouvriers – qu’ils soient qualifiés ou non – n’ont travaillé, en moyenne, qu’un an et quatre mois de plus. En cause : leur plus forte probabilité de basculer dans le no man’s land du marché du travail, où l’on est ni en emploi ni en retraite (NEET). Chômage, arrêt maladie, inaptitude… autant de statuts subis qui les privent d’un revenu stable tout en repoussant l’accès à leur pension.

Pension dont, pénibilité du travail oblige, ils ne peuvent pas toujours profiter pleinement, puisque ces ouvriers vivent généralement bien moins longtemps que les cadres ou les professions intermédiaires. Malgré des carrières entamées plus tôt et des départs à la retraite souvent anticipés, ils passent environ deux années de moins à la retraite que leurs homologues en col blanc. Un écart d’espérance de vie à 65 ans qui atteint trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes.

Un non-sens pour Angélique Perroux, présidente du spécialiste de l’audit retraite Qualiretraite : «On demande à l’ensemble des salariés de travailler plus longtemps, sans garantir à tous la possibilité de le faire correctement.» Car pour les travailleurs plus jeunes déjà en poste, travailler plus longtemps est une contrainte, certes. Mais pour les seniors qui peinent à retourner vers l’emploi – car au chômage, en arrêt ou inapte –, cet allongement de la durée de travail est une impasse. Ils devront patienter, sans ressources supplémentaires, jusqu’à la liquidation de leurs droits

Double peine pour les femmes à partir 55 ans

Outre les ouvriers et les salariés à la santé plus fragile, les femmes figurent elles aussi parmi les grandes perdantes des refontes du système de retraite. Certes, la réforme portée par Eric Woerth a permis une hausse du taux d’emploi des femmes après 60 ans, mais cela s’est fait le plus souvent… à temps partiel. Par ailleurs, les Françaises de plus de 55 ans sont plus souvent ni en emploi ni en retraite que les hommes. Un entre-deux rarement lié à l’invalidité, comme c’est le cas pour les ouvriers ou les travailleurs plus fragiles, mais plutôt «à des contraintes familiales ou personnelles», indique le rapport. Il faut dire que «la plupart des aidants sont en fait des aidantes, notamment à cet âge pivot de 55 ans, où elles doivent s’occuper de leurs parents, en plus de leurs petits-enfants», souligne le président de la Cour des comptes, qui plaide pour «de nouvelles mesures, pour accompagner les seniors les plus vulnérables mais aussi les aidants, le plus souvent des femmes».

Reste à savoir si ces sujets feront partie de la feuille de route des partenaires sociaux, qui planchent actuellement sur les pistes d’amélioration de la très contestée réforme des retraites de 2023. Et l’enjeu est de taille ! Il y a deux ans, une personne sur cinq âgée de 55 à 64 ans n’était ni en emploi ni en retraite, soit 1,6 million de seniors sur un total de 8,5 millions, dont «la plupart subissent leur situation», rappelle Pierre Moscovici.

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