Je suis un imposteur. Un vrai. Pas un petit joueur qui croit avoir un syndrome sous prétexte qu'il a des symptômes. Non, moi, c'est la classe internationale. J'ai interviewé Gary Kasparov sans rien connaître au Jeu de la dame. J'ai été rédacteur en chef de la Harvard Business Review alors que je parle anglais comme une vache espagnole. J'ai passé ma vie pro à embrouiller mes lecteurs et mes journalistes derrière un écran de fumée, en paniquant pendant des décennies à l'idée d'être confondu...

J'ai même été rédacteur en chef de Management (2013-2016) alors que je suis un piètre manager : je déteste les conflits, je suis incapable de virer les cassos et comme je suis un grand stressé, je stresse mes équipes (c'est celui qui m'a commandé cet article qui me l'a dit…).

Je suis un imposteur conscient de son complexe. Et je suis persuadé que parmi les 38% de managers qui ont affirmé ne jamais en ressentir le syndrome, ils sont en fait des régiments à ne pas (se) l'avouer. Alors quand Management m'a demandé de partir à la recherche de ceux qui se sentent légitimes dans leurs baskets de chef-fe, j'ai bien vite flairé la mission impossible, le traquenard, la revanche du chef de service en embuscade ; après toutes ces années passées à le stresser, c'était enfin à lui de me rendre la monnaie.

Il me fallait un guide dans ce royaume des faux semblants. J'ai bien vite pensé à mon ami et maître ès coaching : Pierre Blanc-Sahnoun. Lui aussi a officié à Management pendant des années dans des chroniques mémorables où il disséquait la réalité des caractères derrière la comédie des pouvoirs dans l'entreprise. C'est le Saint-Simon des Comex, le La Bruyère des Codir, le Chamfort des team building. Et ce n'est pas un imposteur, lui. La preuve, c'est une référence parmi les coachs d'entreprises, le gourou de l'approche narrative.

Patatras.

Alors qu'on prenait le café accompagné d'un succulent fondant au chocolat, il s'agace presque quand je lâche le mot "gourou".

- J'ai toujours essayé d'éviter ça !

- Mais pourtant, Pierre, tu es la référence de cette discipline avec laquelle tu as coaché des cohortes de dirigeants. Tu as été formé par les inventeurs de la méthode en Australie !

- Oui. Je suis devenu une figure de la pratique narrative en langue française, mais j'ai toujours eu l'impression de voler des diamants sans tout comprendre. Parfois, quand je vois des gens qui ont un regard admiratif sur moi… Je me retourne pour savoir qui ils regardent !

Glups. Pierre Blanc-Sahnoun, l'homme qui a murmuré à l'oreille de centaines de managers, une victime du syndrome de l'imposture ! Les bras m'en tombent. Et comment ça s'attrape ce truc ?

- Comme beaucoup d'enfants uniques, j'ai pris frontalement les névroses de mes parents. Le projet de ma mère, c'était que je sois exceptionnel. Face à une mission d'une si grande ampleur, on n'est jamais à la hauteur.

- Mais cette pression t'a porté, tu as fait des études brillantes…

- J'étais un surdoué non détecté, comme on dit. J'avais d'extrêmes facilités intellectuelles. Je n'ai pas travaillé avant la première. Donc ces bonnes notes, je ne les méritais pas puisque je ne faisais aucun effort.

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