«Le boulot, c’est toute ma vie, j’ai été éduqué de cette manière». Bruno, 52 ans, a effectué toute sa carrière au sein d’une grande banque française. Entré comme employé de banque à 22 ans, ce breton gravit rapidement les échelons de son entreprise. Accompagnement du personnel, formation, gestion de projet, responsable back office ou encore responsable département, Bruno s'épanouit pleinement au travail. «Les entretiens annuels duraient cinq minutes, mes supérieurs étaient très satisfaits, tous les voyants étaient au vert, j’étais régulièrement félicité par les grands directeurs de la banque, c’était une fierté», raconte-t-il.

Après une vingtaine d'années de carrière exemplaire, la vie de Bruno bascule en 2012, lorsqu'il est victime d’un premier burn-out : «Je me débattais autant que je pouvais mais la charge de travail était beaucoup trop importante, je ne savais plus où donner de la tête, je n’arrivais jamais à sortir la tête de l’eau. J’avais toujours la volonté de répondre aux exigences de la hiérarchie, mais finalement j’ai sombré», se rappelle-t-il Le burn-out est alors reconnu par son médecin traitant comme un accident de travail, ce qui sera contesté plus tard par son employeur, qui décide de demander à la Sécurité sociale d’ouvrir une enquête. Un an plus tard, le Nordiste obtient finalement gain de cause auprès de la Sécurité sociale. Il reprend le travail en 2015, après trois ans d'arrêt.

Une mise au placard brutale

Bruno est alors affecté à un nouveau service et est désormais chargé de développer la Silver Economie dans l’entreprise, c'est-à-dire l'ensemble des activités liées aux personnes âgées. Il est dirigé par un nouveau manager, qui utilise des méthodes de management innovantes, basées sur la confiance, la délégation et la transparence. Pendant quatre ans, Bruno exerce sa mission avec passion et s’épanouit dans son nouvel environnement. Mais l'arrivée d’un nouveau chef va vite le faire déchanter.

«Assez rapidement, il a mis en place un intermédiaire hiérarchique - une cheffe de service - entre lui et moi, se souvient t-il. Au bout de quelques semaines, des dossiers m'ont été retirés à son profit ou au profit de la cheffe de service. Je me suis très rapidement retrouvé à effectuer des tâches à faible valeur ajoutée. Je n'étais plus convié à participer à certaines réunions.» Vous l’aurez compris, Bruno est mis au placard. Pour tenir le coup, il sollicite une psychologue du travail afin qu’elle accompagne dans cette épreuve.

Poussé vers la sortie

En février 2023, Bruno est convoqué par sa cheffe de service, qui lui reproche un manque d'engagement, de motivation et de résultats. Elle lui fait comprendre qu’il lui faut trouver une porte de sortie pour quitter l'entreprise et l’invite à contacter le service des ressources humaines pour négocier son départ. Le choc est brutal. «J’ai tout donné pour cette entreprise pendant plus de 30 ans, j’ai très mal vécu ces événements. Quelques minutes après cette discussion, en rentrant dans mon bureau, je me suis écroulé, j’ai complètement sombré, j’avais des idées noires, j’ai même écrit une lettre d’adieu», se remémore-t-il, des sanglots dans la voix. Bruno ne doit son salut qu’à sa psychologue, qui appelle les secours pour lui venir en aide.

Trois ans plus tard, Bruno, toujours en arrêt maladie à la suite à son accident de travail, tente de se reconstruire. Il reconnaît qu’il est obligé de détourner le regard quand il passe devant une agence bancaire du groupe dans lequel il travaille. S’il confesse que ses nuits sont toujours agitées, et que les plaies sont encore loin d’avoir cicatrisé, il ne perd pas espoir de pouvoir reprendre le travail prochainement. «J'encourage tous les salariés en difficulté au travail à se faire accompagner par un professionnel, c’est extrêmement difficile de s’en sortir seul, prévient-il. Il faut absolument briser l’omerta sur la santé mentale au travail, notamment sur le harcèlement en milieu professionnel. On en parle beaucoup dans le milieu scolaire, mais beaucoup moins au travail. Il faut que cela change.»