C’est une piste d’économie qui avait déjà fait polémique, lorsqu’elle avait été approuvée par les sénateurs, dans le cadre des débats du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. En novembre 2024, les parlementaires de la chambre haute avaient voté un amendement visant à créer un «nouveau jour travaillé non payé», afin de financer les dépenses liées à la dépendance des personnes âgées. Le texte approuvé par les sénateurs prévoyait ainsi d'augmenter la durée annuelle de travail des salariés du public et du privé de sept heures, sans rémunération en contrepartie.

Si la mesure avait finalement été rejetée par l’Assemblée nationale, et le budget de la Sécu abandonné en raison de la censure du gouvernement Barnier, la ministre du Travail Catherine Vautrin a relancé l’idée lors d’une interview accordée dimanche 19 janvier au Journal du dimanche. «Cette mesure peut, en 2025, générer 2 milliards d’euros de recettes fléchées vers les dépenses sociales», a-t-elle déclaré. Sa collègue aux Comptes publics, Amélie de Montchalin, a également confirmé sur France 3 que ce nouveau jour de travail non rémunéré «est une piste qui est sur la table du gouvernement

Concrètement, ces sept heures de travail non rémunérées pourraient prendre la forme d’une deuxième journée de solidarité, semblable à celle instaurée en France en 2004. Avec un versement à la Sécurité sociale par tous les employeurs, publics et privés, d’une “cotisation de solidarité pour l'autonomie”, équivalant à 0,3% de leur masse salariale. «Une totale souplesse sera laissée aux acteurs de terrain pour définir les modalités d’accomplissement en fonction de leurs besoins et de leur organisation», précisait l'amendement adopté au Sénat.

10 minutes travail en plus par semaine

Autrement dit, les entreprises auraient la possibilité de répartir ces sept heures de travail non rémunérées pour leurs salariés comme elles l'entendent. Avec par exemple, une augmentation du temps de travail d’une dizaine de minutes par semaine, ou l'instauration d'une journée entière de travail non rémunérée, qui pourrait prendre la forme de la suppression d’un jour de RTT. «L’idée, c’est qu’il y ait un débat avec les partenaires sociaux sur la mise en application du principe», expliquait le Sénateur des Deux-Sèvres Philippe Mouiller (Les Républicains), président de la commission des affaires sociales, lors des débats au Sénat en novembre dernier.

A l'époque, l’idée d’instaurer cette fameuse journée de travail non rémunérée dans le but de permettre à l'Etat de réaliser des économies n’avait pas les faveurs de l’ancien Premier ministre Michel Barnier. «Je suis très réservé sur cette idée, complexe à mettre en œuvre et dont je ne suis pas sûr qu’elle rapporte ce que certains prétendent», alertait l’ex-locataire de Matignon, dans une interview accordée à Ouest France au mois de novembre 2024. Soutenue par l’ancien ministre de l’Economie Antoine Armand, la mesure avait été rejetée par les députés de gauche et du Rassemblement national.

Le texte de retour à l’Assemblée en février

En quête de 30 milliards d’euros d'économie sur le prochain budget, le gouvernement Bayrou change donc de ton et dit «ne pas avoir d’opposition de principe sur cette mesure». Le cabinet de la ministre du Travail Catherine Vautrin a précisé ce lundi qu'elle laissera les parlementaires décider. «La disposition figurant dans le texte du Sénat, proposée et votée par les sénateurs, sera étudiée par l’Assemblée à la reprise des travaux», ajoute-t-on au ministère. Le gouvernement ayant en effet décidé de reprendre les textes budgétaires en cours de lecture, le PLFSS sera examiné à l’Assemblée nationale dans la version qui avait été adoptée fin 2024 au Sénat, avec la mesure sur les sept heures de travail non rémunérées.

Du côté des syndicats, l’idée d'augmenter le temps de travail des salariés sans rémunération supplémentaire, dans un contexte marqué par une forte inflation ces deux dernières années, est largement rejetée. «Ce n’est pas aux salariés du privé et aux agents publics de payer pour diminuer le déficit de la Sécurité sociale et d’assumer les difficultés budgétaires du pays», déplore Luc Farré, secrétaire national de l’Unsa, chargé de l’action publique. Et de poursuivre : «C’est encore plus vrai pour les agents publics, qui n’ont pas été augmentés en 2024, et à qui on demande de travailler sept heures de plus alors que beaucoup font déjà des heures supplémentaires non payées.»

Même son de cloche à la CGT, par l'intermédiaire de Denis Gravouil, secrétaire confédéral du syndicat : «Le financement de la perte d'autonomie est primordial, mais il est inacceptable que cette charge repose uniquement sur les salaires. Cette mesure décidée unilatéralement par la ministre est injuste, puisqu’elle va pénaliser davantage les salariés au Smic, qui ne peuvent pas se permettre de perdre une journée de salaire.» Le débat promet déjà d’être agité dans les prochaines semaines.