À Grenoble, Patrick, propriétaire d’un utilitaire Fiat Doblo de 2004 classée en Crit’air 4 ne comprend vraiment pas le sens des zones à faibles émissions (ZFE). Il estime que son utilitaire est «en parfait état de fonctionnement et passe haut la main le contrôle technique et antipollution». «Je suis en règle mais on me refuse pourtant l’accès au centre-ville sous peine d’une amende de 68 euros. À écouter les politiques grâce à ce système, tout le monde va pouvoir respirer de l'air pur… Il est anormal de rendre les gens, les plus modestes qui plus est, coupables. Alors, je ne changerai rien, sauf si l’on peut reprendre mon véhicule correctement et pas à 500 euros !». Si certains comme Patrick ont toujours été contre les ZFE et n’ont jamais changé leurs habitudes de vie, d’autres automobilistes se disent scandalisés par le vote en faveur d’une proposition de loi visant à suspendre l'entrée en application du dispositif de ZFE pour une durée de cinq ans, mercredi 26 mars. Pourquoi ? Parce qu’ils ont dû acheter une voiture neuve, 100% électrique ou correspondant aux normes de circulation restreinte et se sont endettés, pour pouvoir ne serait-ce que continuer à travailler ou rouler au quotidien tout simplement. Une colère que le patron des centres autos Point S et auteur du livre “Laissez-nous rouler, sans stress”, comprend et défend. Voici son analyse.

Capital. Que pensez-vous des ZFE ?

Christophe Rollet, directeur général de Point S. Sur le principe, ça part d’un bon sentiment. Personne ne peut véritablement être contre une démarche environnementale. Cependant, sa mise en place est critiquable en France, car elle va à l’encontre du pouvoir d’achat des consommateurs. La ZFE est d’abord une contrainte économique et sociale. Les automobilistes, qui détiennent des voitures les plus polluantes, n’ont pas les moyens de s’acheter un modèle neuf, plus conforme aux normes de pollution actuelles. Nous les voyons au quotidien dans nos garages et nos points de ventes, avec leurs véhicules souvent âgés d’une dizaine d’années. Ils essaient de consacrer tout de même un petit budget entretien et leur voiture d’occasion fonctionne bien, qui plus est. Rappelons que le prix d’un véhicule électrique neuf atteint en moyenne 40 000 euros, tandis que le pouvoir d’achat baisse nettement.

Un véhicule représente le 2e investissement du couple, et son financement coûte cher, tout comme son ravitaillement en essence ou encore son stationnement dans les grandes villes…Et les ZFE viendraient par-dessus toutes ces dépenses empêcher les consommateurs de circuler comme ils l’entendent ? Pour que tout le monde puisse mieux respirer, alors qu’ils passent sans cesse à la caisse pour justement respecter les contraintes environnementales ? Mais, au vu de l’outil industriel aujourd'hui, acheter un véhicule neuf revient à acquérir un véhicule qui consomme beaucoup d'énergie à sa fabrication et a un impact CO2 médiocre, bien plus qu‘une voiture occasion, sachant que la filière de la réparation auto ou du recyclage des pièces détachées a fait des efforts considérables sur leur impact environnemental.

Leur abolition est-elle définitive à votre avis ?

Tout est envisageable, les ZFE peuvent revenir. D’ailleurs, sur le sujet de l’automobile et de l’environnement, les politiques passent trop d’un extrême à un autre et le consommateur s’y perd complètement. Ils changent souvent d’avis, reviennent sur les textes,...La limitation de vitesse, la Loi Montagne etc. C’est un marasme général qui empêche finalement l’automobiliste soucieux lui aussi de l’environnement de contribuer à l’effort national. Ces allers-retours sont incompréhensibles. D’autant plus qu’il y a une forte appréhension par rapport à l'électrique, qui représente à peine 3% du parc roulant et moins de 20% des ventes. La consommation, l’usure des pièces et des pneus, le temps de la recharge, et le temps d’attente aux bornes, etc, sont également à prendre en compte, les Français ne sont pas encore totalement à l’aise sur le sujet.

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Quelle est l’alternative idéale aux ZFE ?

Il nous faut davantage de temps, car nous ne pouvons pas passer d’un niveau zéro où presque personne ne respectait l'environnement, à des villes sans voitures et des règles qui obligent et pénalisent. Il faut aussi accompagner les automobilistes dans ce changement de mentalités, dans cette transition environnementale, pour les laisser s’adapter. Il faut les soutenir financièrement pour qu’ils aient les moyens d’acheter une voiture neuve électrique. Les aides à l’achat, comme le bonus écologique, se sont fortement réduites aujourd'hui, et on pense plus à pénaliser ceux qui ne font pas, ou mal, que de récompenser ceux qui essaient de faire bien. D’ailleurs, pourquoi ne pas miser sur l’écoconduite, ce système qui renseigne sur notre impact environnemental en temps réel via des applications ou le tableau de bord de la voiture en fonction de notre comportement sur la route. Il serait très facile donc de récompenser les consommateurs de leur démarche environnementale, car savoir freiner ou accélérer au bon moment diminue quasiment de 20% l'usure des pièces par exemple (lien Toyota). Donc moins de passage en atelier, au final.

Il n’y a pas véritablement de solution miracle, mais c’est avec l’addition de plusieurs efforts des villes, des politiques, des constructeurs et des consommateurs, en attendant la baisse des prix des voitures électriques, que la transition économique pourra se transformer en transition écologique. Mais de grâce, ne tapons pas sur les automobilistes, arrêtons de diaboliser la voiture et ne la sortons pas des centres-villes car elle reste tout de même l’une des plus belles inventions de l’homme et pour l’homme.