Témoignages : comment les femmes s’affirment au sommet

«S’exprimer, prendre la parole en public, intervenir dans un débat, c’est compliqué pour les femmes à qui on a longtemps appris qu’il vaut mieux se taire, explique Marie-Laure Hubert Nasser. Or cette prise de risque est indispensable pour développer son réseau et gagner la confiance des personnes clés qui vont vous aider à évoluer en interne.» Pour développer ses capacités d’expression et son pouvoir d’influence, l’ancienne communicante estime que les réseaux féminins et les appuis qu’on y trouve ont un rôle essentiel à jouer.

Autrice du Petit Guide à l’usage des femmes qui s’engagent en politique (Payot, 2020), Marie-Laure Hubert Nasser sait de quoi elle parle : «Lorsqu'elles sont en position de mentors, les femmes ont une approche différente des hommes. Elles vont conseiller sur des comportements quand les hommes se placent plutôt sur des aspects techniques. Une femme dira par exemple : “Tu travailles trop, tu ne réseautes pas assez. Au lieu de t’épuiser sur des PowerPoints, développe tes relations avec des personnes qui pourront t’aider à monter ta boîte demain.” Ce sont des conseils et une approche qui nourrissent sur le long terme.»

Marie-Laure Hubert Nasser croit à la «puissance de la sororité». Elle l’a expérimenté en créant en 2022 youWan, une plateforme de formations en ligne consacrées à la carrière des femmes. «Avant de me lancer, j’ai fait une liste de douze femmes influentes, comme Mercedes Erra, fondatrice de BETC Groupe, ou Isabelle Juppé, directrice du développement durable et de la RSE du groupe Lagardère. Elles ont toutes accepté de me recevoir chez elles pour me donner un avis sur mon projet de plateforme. Parce que c’est de l’entraide sans aucun enjeu financier, elles m’ont parlé sans filtre. Pour des aspects techniques que je connaissais moins, comme les levées de fonds, j’ai rencontré également plusieurs startupeuses de l’écosystème bordelais. L’ancienne cheffe de la diplomatie américaine Madeleine Albright disait qu’il y avait une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes.»

Shirley Jagle, fondatrice de Kairos Agency

“Il faut sortir d’une certaine forme de consanguinité”

La fondatrice de Kairos, agence de création et design, fait partie de plusieurs associations professionnelles, comme l’Association des professionnels de la communication en Nouvelle-Aquitaine. Toutes sont mixtes, certaines regroupant une majorité d’hommes. Mais cela ne gêne pas Shirley Jagle, au contraire. «Ce qui a le plus changé mon approche du business, c’est d’avoir intégré l’Association progrès du management (APM). J’y ai rencontré une famille très masculine, mais très bienveillante, qui compte 8.000 patrons, créateurs, repreneurs, souvent éloigné du monde de la tech», raconte la trentenaire, qui y suit chaque mois une formation, la dernière en date sur le thème de l’intuition.

Cette amatrice de grands crus qui a débuté dans le négoce de vins de Bordeaux vient également de rejoindre l’association de business angels Finaqui, en tant qu’administratrice bénévole. «J’apporte mon expérience dans la tech et en échange, j’en apprends davantage sur les levées de fonds», précise Shirley Jagle, également à l’origine de la création du Digital Village de Bordeaux. Pour développer sa visibilité et, par ricochet, son business, il faut, selon cette spécialiste du marketing numérique, aller au-delà de son cercle habituel et «sortir d’une forme de consanguinité». «A l’APM, j’ai sympathisé avec des personnes de tous âges que je n’aurais jamais croisées autrement. Je crois beaucoup au pouvoir de la rencontre : s’apporter des choses mutuellement, s’entraider, se passer des infos… En sortant de sa bulle, on s’enrichit de nos différences. Depuis le Covid, la rencontre “en vrai” est encore plus respectée et recherchée.»

Certes, cette activité de réseautage est chronophage et l’oblige à de nombreux déplacements : «J’ai une organisation quasi militaire en consacrant une soirée par semaine à ces réseaux physiques.» Mais, elle trouve du plaisir à ces échanges : «Mes amis ne me voient pas beaucoup, mais c’est ce qui me permet de développer ma visibilité et de booster ma boîte.»

Claire Placenti, codirigeante de Retrofutur

“L’union (des femmes) fait la force”

Claire Placenti codirige l'agence de communication Retrofutur depuis un an. «Mon ancien patron m’a proposé de reprendre l’agence. Le bébé qu’il laissait était beau, mais je n’imaginais pas le gérer toute seule. J’ai proposé à Marion Delanoue, une ancienne collègue qui partage ma vision de l’entrepreneuriat, de me rejoindre. Elle-même a proposé à son amie Anaïs Allegrini de s’associer. Le trio était constitué», résume Claire Placenti. Et de préciser aussitôt que cette direction 100% féminine n’est pas particulièrement revendiquée. «Néanmoins, les retours de nos clients sont vraiment positifs à cet égard. On en tire une fierté qui nous booste», complète la trentenaire qui partage le commercial et la gestion avec Marion Delanoue, tandis qu'Anaïs Allegrini s’occupe de la création.

L’union fait la force ! «On discute beaucoup et on se dit les choses franchement, sans problème d’ego. Aucune de nous n’a besoin de surpasser l’autre pour atteindre des objectifs cachés. Dans les agences où j’ai travaillé avant, c’était plutôt le contraire ! La vie de bureau ressemblait à un combat de coqs entre dirigeants pour avoir la plus grosse part d’attention», confie la communicante qui estime, comme ses camarades, n’avoir rien à prouver personnellement, l’intérêt de la boîte passant avant les ambitions individuelles.

Les associées se retrouvent autour du même modèle de développement. «On a envie de porter l’agence assez haut, mais pas à n’importe quel prix. Nous sommes toutes les trois jeunes mamans et on ne veut pas sacrifier nos vies privées. Les objectifs que l'on se donne à cinq ans, d'autres pourraient peut-être les atteindre en deux ou trois ans. Mais nous défendons un modèle qui respecte nos équilibres de vie et ceux de nos collaborateurs», explique la dirigeante. Ainsi, même si le trio pousse les quatre salariés de l'agence à donner le meilleur d’eux-mêmes, elles veillent à ne pas surcharger leur équipe et organisent des temps de pause pour que tout le monde ait le temps de se ressourcer.

Marie-Laure Basset, directrice générale d’API

“On peut très bien gérer une entreprise sans quitter le bureau la dernière”

Avant de diriger API, une entreprise qui déploie des supérettes autonomes dans les petites communes éloignées des grands centres commerciaux, Marie-Laure Basset a eu un parcours de manager et de cadre supérieure dans l’industrie agroalimentaire. «Si j’analyse les moments charnières de ma carrière, le dénominateur commun est toujours une prise de risque de ma part. On trouve aujourd’hui moins de femmes que d'hommes à des postes de direction notamment parce qu'elles n’osent pas assez alors qu’elles ont les capacités», soutient-elle. En 2009, alors qu’elle est directrice marketing et R&D d’une marque de plats surgelés, le groupe Fleury Michon lui propose la direction générale d’une filiale. «Il y avait des domaines comme les RH, le management ou la supply chain que je ne maîtrisais pas totalement. J’y suis allée quand même ! J’ai compensé ces lacunes en participant aux formations qu’on me proposait. J’ai toujours eu cette soif d’apprendre pour m’enrichir en compétences. Je pense que cela fait aussi progresser ses propres équipes», raconte-t-elle.

Certes, le poste qu'elle occupe n’est «pas un cadeau» : «La filiale était relativement modeste, et pas la plus glamour du groupe ! Il faut parfois oser choisir une voie qui n’est pas la plus belle route dans l’entreprise.» Elle endosse son rôle de leader avec succès. «Au comex, j’étais la seule femme. Mes chiffres de croissance étaient bons. Pourtant, les autres ne se privaient pas de venir me titiller sur le faible poids de mon business dans le groupe.» Oser, cela veut dire parfois dénoncer un dysfonctionnement. «Quelque temps après ma nomination, je me suis retrouvée avec un supérieur hiérarchique incompétent qui risquait de m'entraîner dans sa chute. Soit je partais sur un échec, soit j’allais en parler au top management. J’ai choisi la deuxième solution et cette personne a été écartée.»

Après douze ans à ce poste, Marie-Laure Basset a besoin de changer d’air. La proposition des fondateurs d’API de devenir CEO tombait à pic. Mais c’était un gros tournant. «J’étais loin de cocher toutes les cases ! On me proposait de développer une enseigne en partant de zéro, en mode start-up, alors que j’avais fait mon parcours de l’autre côté de la barrière, chez des grands fournisseurs industriels. Mais si on venait me chercher, ce n’était pas pour rien», souligne-t-elle.

Lors de son recrutement, il y a un an, les investisseurs ne sont pas tendres avec elle. «On m’a dit : Marie-Laure, tu es mère de famille, tu es prête à ne pas voir le jour pendant trois ans ? On m’avait déjà fait ce genre de remarque quand je suis devenue patronne de filiale : “Tu ne verras plus tes enfants !” Ces stéréotypes de dirigeants dévoués corps et âmes à leur boîte font beaucoup de tort aux femmes. Il est tout à fait possible de très bien gérer une entreprise sans être obligée de quitter le bureau la dernière. D’ailleurs, pour encaisser le stress de la fonction, mieux vaut être très équilibrée. Cela passe par les amis, la famille ou le sport. Moi, j’ai toujours eu besoin de mon équilibre familial et jusqu’à présent cela a plutôt bien marché !»

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