"La première fois que j'ai eu l'impression qu'on allait me montrer du doigt en m'expliquant que je n'avais rien à faire là, c'était à Sciences Po dont j'avais pourtant réussi le concours ! René Rémond, alors président de la Fédération nationale des sciences politiques, venait de commencer sa leçon inaugurale et mon cerveau s'est emballé. Il allait venir me voir et m'expliquer qu'il fallait que je sorte de l'amphi, que j'avais pris la place d'un autre et que je n'avais rien à faire là !", s'amuse Pierre-Yves, 47 ans, près de 25 ans après s'être frotté pour la première fois au syndrome de l'imposteur. Lequel dure encore aujourd'hui !

Devenu cadre dans une grande agence de com', il arrive parfois à Pierre-Yves d'avoir "peur de mal faire, ou d'être identifié comme un nul" par ses collègues ou ses supérieurs mais "heureusement seulement par intermittences"… Pierre-Yves peut se rassurer. La plupart de ses collègues pensent comme lui : qu'ils ne méritent pas leur place !

C'est en effet le principal enseignement de notre sondage exclusif en collaboration avec YouGov* : 62 % des managers français se disent victimes du syndrome de l'imposteur. Identifié par deux psychologues américaines en 1978, Pauline Rose Clance et Suzanne A. Imes, ce phénomène se traduit par un sentiment désagréable de doute permanent, qui consiste à ne pas se sentir légitime dans son statut actuel et à avoir des difficultés à s'approprier ses propres réussites.

Adrien Chignard, psychologue du travail et créateur du cabinet Sens et Cohérence, insiste sur l'aspect tridimensionnel de ce syndrome : "Une personne victime du syndrome de l'imposteur est persuadée de tromper les autres quant à ses compétences ou ses qualités, elle place des attributions causales au mauvais endroit, attribuant ses propres succès à la chance ou à l'intervention des autres, et elle vit, enfin, dans la crainte d'être démasquée ou de mal faire.

" Ni maladie ni pathologie psychique, les scientifiques ont tendance à considérer le syndrome de l'imposteur comme un état psychologique que nous pouvons tous être amenés à traverser au cours de notre vie ou de notre carrière professionnelle. Pour la petite histoire, Albert Einstein trouvait que son travail ne méritait pas tant d'attention ! Tous des imposteurs ? C'est ce que nous avons essayé de vérifier avec notre sondage dont voici les principaux enseignements…

62 % des managers français sont sujets au syndrome de l'imposteur !

Un chiffre plus élevé que celui de la population générale (50%) qui n'étonne guère Adrien Chignard : "Plus on gagne en responsabilité, plus on a besoin de compétences complexes et plus on devient sensible au doute…" Autrement dit, plus on monte dans la hiérarchie, plus l'écart entre les compétences qu'on pense posséder et celles qu'on imagine nécessaires pour réussir dans l'exercice de sa fonction s'accentue. On peut pourtant légitimement se poser la question de savoir si Bernard Arnault est vraiment la personne la plus compétente chez LVMH ou si un Premier ministre est forcément le plus doué de tous les ministres...

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