Comme à son habitude, Luca de Meo ne fait rien comme les autres. Dimanche 15 juin, voici qu’il est annoncé démissionnaire. En effet, le groupe automobile Renault a envoyé un communiqué de presse officialisant le départ de son directeur général depuis 2020. Luca de Meo quittera ses fonctions le 15 juillet prochain pour rejoindre le groupe de luxe français Kering. Et les réactions n’ont pas manqué, à commencer par une onde de choc à la Bourse de Paris : l’action Renault chutait ainsi de près de 7% à la mi-journée. Preuve que les investisseurs n’aiment pas être pris au dépourvu et s’inquiètent de l’avenir. Côté syndicats, le délégué central CGT ne mâchait pas ses mots ce matin sur France info, le départ du patron étant vécu comme un abandon, au moment où le constructeur (comme tous ses concurrents) doit faire face à l’immense défi de la transition vers l’électrique.

Il faut dire que cette démission est un signal fort de la place qu’occupait l’Italien dans le paysage industriel européen et marque un tournant pour le constructeur automobile français. Pour preuve : arrivé dans un contexte de crise majeure il y a cinq ans quand Renault perdait 8 milliards d’euros, le patron a su imposer sa vision stratégique avec son plan «Renaulution» et a redressé une entreprise alors en crise, affichant une perte record de 8 milliards d'euros. En passant d’un modèle de volume à une logique de rentabilité, accompagné d’une réduction des coûts fixes, le pari est plutôt réussi car le groupe a atteint sous sa direction une marge opérationnelle de 7,6% en 2024, un niveau inédit dans son histoire. Au-delà de monter en gamme et d’avoir des véhicules plus désirables (à commencer par les craquantes R5 et R4 remises au goût du jour), De Meo a également accéléré la transition électrique avec la création de la filiale Ampere, dédiée aux véhicules électriques et aux logiciels et a su repositionner Renault comme un acteur crédible de la mobilité du futur, redonnant ainsi le moral aux équipes. Une remontada d’autant plus notable que Renault se remettait à peine de l'affaire Carlos Ghosn, après avoir enchaîné les crises de la pandémie, de la pénurie des semi-conducteurs ou encore de l’inflation des matières premières.

Renault sans Luca de Meo : une perte, mais pas une chute ?

Une page se tourne donc pour le constructeur français. Mais ce dernier peut-il pâtir sérieusement du départ de Luca de Meo ? «Le groupe perd un véritable capitaine d'industrie», estime Renaud Kayanakis, directeur associé chez Sia Partners. Toutefois, Luca de Meo ne laisse pas derrière lui un désert mais une structure renforcée, des résultats solides et une vision partagée. Selon cet expert, il est à l’origine du retour de Renault dans les 10 plus grands constructeurs mondiaux et l’instigateur de la remise du client au cœur de la stratégie ainsi que de la mutation vers l'électrification. «Désormais les bases économiques du groupe sont saines, et à moyen terme il n'y aura pas d'impact pour le groupe Renault car c'est toute l'équipe de direction qui est désormais embarquée dans cette transformation qui porte déjà ses fruits. Il n'en demeure pas moins qu'il va falloir, pour Renault, retrouver un nouveau capitaine enthousiaste des voitures, visionnaire et véritable leader tel que Luca de Meo», nous explique-t-il.

Il n’empêche que son départ pose question sur bien des aspects. D’abord, le dirigeant menait depuis longtemps un lobbying face à Bruxelles, estimant les normes imposées par l’Union européenne trop contraignantes et nuisant à la capacité de nos constructeurs de pouvoir proposer des modèles écologiquement propres à des tarifs accessibles. Ensuite, l’issue de l’alliance avec Nissan, en grande difficulté financière, n’est toujours pas réglée et sa consolidation capitalistique demeure une nécessité. Renault paraît quand même isolé et de taille insuffisante face à la concurrence internationale, à commencer par les groupes chinois. Enfin en interne, le directeur général laisse un gros chantier en suspens : le futur plan stratégique Futurama, dont la présentation publique est programmée pour la fin d’année. Cette nouvelle feuille de route après la «Renaulution» vise à «libérer Renault de la cyclicité» et à «transformer l’esprit de la R&D», avec pour objectif de confirmer les solides performances commerciales et financières réalisées par le constructeur français l'an dernier. Selon Renaud Kayanakis du cabinet Sia Partners, «il n’est pas certain qu’un financier soit placé à la tête du groupe pour piloter ce futur plan, très orienté produits et marchés». Bon courage pour son successeur…

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