Il n’est pas question de basculer dans le paradoxe : en première approche, l’hypothèse d’une démission du gouvernement à l’issue d’un vote de confiance défavorable au Premier ministre ce lundi 8 septembre est porteuse de conséquences négatives. Deux essentiellement. D’abord des institutions qui chancellent, l’exécutif du pays, peut-être l’Assemblée nationale dans la foulée si le Président choisit de la dissoudre, donnent à la nation un sentiment de fragilité. Qu’on le veuille ou non, qu’on ait une conscience civique ou qu’on n’en ait pas, on vit avec l’idée que le cadre politique du pays nous protège, constitue une partie de notre solidité, nous rassure. Nous savons au fond de nous que les lois, les corps qui les produisent, la police, la justice qui sont garants de leur respect nous sont des fondations établies.

Certes, depuis des décennies, la France avait eu matière à ne pas y penser chaque jour, parce que l’édifice était bien planté. Cette sérénité est désormais régulièrement troublée. En outre, cette agitation inquiète les marchés financiers : les taux d’intérêt, bien sûr ceux auxquels la France rembourse sa dette souveraine (qui est notre dette collective) , mais par ricochet ceux qui concernent les ménages pour les prêts de long terme, les prêts immobiliers, risquent d’être majorés. Les taux intègrent en effet pour partie l’expression de la confiance ou de la défiance envers l’emprunteur et l’univers économique dans lequel il vit. Oui, les taux des crédits immobiliers vont gonfler, dans des proportions difficiles à anticiper : la Banque centrale européenne et nos banques feront sans doute tout pour amortir la magnitude du séisme pour les ménages, en sorte de ne pas casser une croissance déjà asthénique.

Le pari que la propriété immobilière va structurer la vie des Français

Pourtant, à y regarder de près, on pourrait bien constater un autre phénomène, que personne n’attend. Les Français, dont on dit en plus qu’ils constituent une nation plus sensible à la politique que la plupart des autres, sont en tout cas attentifs aux conditions d’achat des logements. La fiscalité, les aides disponibles conditionnent leurs choix, comme le coût de l’endettement. Plus largement, jusqu’à présent, ils étaient réticents à s’engager dans une opération à la fois mobilisatrice d’une part de leur épargne de précaution, de fait diminuée, et les astreignant à rembourser un crédit pendant vingt ou vingt cinq ans. Sans visibilité sur la marche de leur pays à moyen terme, ils n’étaient pas disposés à franchir le pas de l’acquisition. Les Français sont en train de se détacher de la politique et le dernier sondage Elabe est à cet égard limpide. 90% de nos compatriotes considèrent les décideurs publics comme incompétents, inefficaces, stériles, désespérants. Ils se détournent de la classe politique et vont agir de plus en plus en totale indépendance par rapport à ce qui se passe en politique. Les secousses telluriques auxquelles les ménages sont exposés sans cesse ont eu raison de leur intérêt pour la chose publique.

C’est à la fois très malheureux, un cancer pour la démocratie, et économiquement et socialement souhaitable. On peut même faire le pari que la propriété immobilière va structurer la vie des Français plus que jamais, et donner le sens à leur vie sociale que les leaders politiques se révèlent incapables de leur donner. Incontestablement, l’enjeu de réduire le déficit public du pays ne les fait pas rêver, même si le projet de rétablir la France pour les générations futures a du souffle. Assurer son avenir par la propriété, moderniser et pérenniser son logement, se mettre en situation de transmettre et de sécuriser des proches, voilà des objectifs de vie honorables et inspirants. Le discrédit de la politique, terrible en soi, pourrait bien faire l’affaire de l’immobilier et du logement. En quelque sorte, les ménages vont se dire qu’il leur appartient d’écrire leur destin, de tracer leur chemin, sans plus rien attendre de leurs responsables politiques, et pour atteindre cet objectif exigeant et enthousiasmant rien de plus fort que de réaliser un projet logement. On passe insensiblement de la volonté d’une politique du logement à celle d’un logement qui tient lieu de politique. On va s’en réjouir, jusqu’à ce que les partis politiques offrent au pays un spectacle plus digne.