
Forge Marit : découvrez cette usine française méconnue
Cinq mailles d’acier font ici la taille d’un homme. Meuleuse à la main, un opérateur travaille sur un morceau de chaîne suspendu, en faisant jaillir des étincelles. Dans cette usine de l’entreprise Marit, à Valenciennes (Nord), les pièces qu’il forge iront s’entasser en de gigantesques pelotes de métal, qui finiront sous la mer ou au cœur de zones industrielles. Fabriquer des chaînes, c’est un savoir-faire méconnu mais indispensable à tous les secteurs où l’on attache, remorque et soulève des charges colossales. Le maritime évidemment, pour lequel Marit conçoit ses produits les plus impressionnants : des chaînes d’ancre, de bouées, de yachts ou de barrages anti-pollution. Mais aussi l’industrie du pétrole, pour amarrer les plateformes, ou les machines agricoles, de levage… Ce bastion de la métallurgie tient bon depuis 121 ans.
Fondé en 1904, Marit fabriquait d’abord des clous et des chaînes à destination des péniches, des trains ou des mines locales. Les forgerons jugeaient la température de l’acier à l'œil, et frappaient le métal à coups de marteau. Un siècle plus tard, l’électricité et les machines sont venues en renfort, mais la société est restée dans la famille. «J’appartiens à la cinquième génération», sourit Guillaume Marit, son directeur commercial. Avec ses 40 salariés et un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros en 2024, Marit fait figure de petite entreprise. Mais ses chaînes massives séduisent les géants, et servent aussi bien à la Marine nationale qu’à TotalEnergies, pour ses chantiers pétroliers et gaziers.
Les chaînes de Marit à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle
L’une des plus grandes réussites de Marit : les 600 mètres de chaînes de mouillage et l’ancre du porte-avions Charles-de-Gaulle. Les grandes heures de la métallurgie nordiste ont beau appartenir au passé, Marit a su traverser les frontières. La moitié des ventes sont ainsi réalisées en Europe, tandis que l’autre moitié se répartit entre le Moyen-Orient (19%), l’Afrique (16%) et le reste du monde (14%). Parmi ses dernières prises, une commande à plusieurs centaines de milliers d’euros pour Sumed, un acteur égyptien du secteur pétrolier. «Pour travailler avec la défense et les industries pétrolières, il faut répondre à des exigences de qualité élevées», souligne Guillaume Marit.
Courants marins, tempêtes, eaux polluées… Les chaînes doivent en effet affronter des conditions extrêmes. Pour en éprouver la résistance, l’usine dispose d’un banc de traction de 850 tonnes, un chevalet de torture géant. Et les microfissures susceptibles de se nicher à l’intérieur des soudures sont traquées grâce à des tests par ultrasons, comme pour une échographie. Il faut dire que les enjeux financiers sont élevés. «Une défaillance sur une ligne d'ancrage pourrait engendrer plusieurs millions d'euros de pertes d'exploitation par jour. Ce genre de problèmes reste exceptionnel et, à ce jour, Marit n'y a jamais été confronté», insiste Guillaume Marit, qui doit tout de même naviguer dans des eaux tumultueuses.
Guerre commerciale : des eaux tumultueuses pour l'industrie française
Peu présent aux Etats-Unis, Marit ne devrait pas souffrir des tarifs douaniers imposés par l’administration Trump. Mais la récession mondiale que ces barrières commerciales risquent de provoquer reste un sujet pour l’entreprise, dont l’activité dépend à 38% du secteur pétrolier (contre 51% pour le maritime). «Dès que le cours du baril baisse, les nouveaux projets et les contrats de maintenance sont gelés ou restreints», rappelle Guillaume Marit. Certes, le réarmement de l’Europe pourrait déboucher sur de nouvelles commandes. Reste à savoir si l’armée française favorisera le pavillon tricolore.
«L'origine de la production n'est pas prise en compte pour l'attribution des marchés militaires sur ce type de fournitures. Cela pourrait ouvrir la porte à une concurrence internationale élargie», s’inquiète Guillaume Marit. Le directeur commercial doit aussi s’adapter au tempo des chantiers navals : les contrats, réfléchis pendant des années, ne se renouvellent que lentement, les équipements pouvant durer des décennies. A l’image du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui embarque les mêmes chaînes depuis sa mise à l’eau, en 1994 ! «D’une certaine façon, nous sommes écologiques. Nous ne faisons pas d’obsolescence programmée», se félicite Guillaume Marit.
- Accès à tous les articles réservés aux abonnés, sur le site et l'appli
- Le magazine en version numérique
- Navigation sans publicité
- Sans engagement
































