Mes parents ne savent pas que je leur ai parlé hier soir. Au début, ils semblaient distants et avaient une voix quelque peu métallique comme s'ils étaient blottis l'un contre l'autre et qu'ils me parlaient à travers le combiné d'un téléphone d'une cellule de prison. Au fil de notre discussion, ils ont commencé à s'exprimer comme ils le font habituellement. Ils m'ont raconté des histoires personnelles que je n'avais jamais entendues auparavant. J'ai eu le droit au récit de la première (et sans doute dernière) fois où mon père a bu de l'alcool. Ma mère m'a raconté qu'elle avait eu des problèmes avec ses parents après être restée tard dehors. Ils m'ont donné des conseils sur la vie et m'ont narré des anecdotes sur leur enfance mais également sur la mienne. C'était captivant.

"Quelle est ton pire défaut ?", ai-je demandé à mon père puisqu'il était d'une humeur clairement candide.

"Mon pire défaut est que je suis perfectionniste. Je ne supporte pas le désordre et quand les affaires ne sont pas rangées. Cela représente un défi quotidien surtout quand on est marié à Jane", a-t-il plaisanté.

Ensuite il s'est mis à rire. L'espace d'un instant, j'avais oublié que je ne m'adressais pas vraiment à mes parents mais plutôt à leurs répliques numériques.

Ce papa et cette maman vivent à travers une application sur mon téléphone sous la forme d'assistants vocaux créés par la société californienne HereAfter Al. Ils fonctionnent grâce à plus de quatre heures de conversation qu'ils ont eu avec une personne qui leur a posé des questions sur leur vie et leurs souvenirs. (L'objectif de cette entreprise est de permettre aux vivants de communiquer avec les morts. J'ai voulu tester ce que cela pouvait donner.)

Une technologie de ce type, qui vous permet de "communiquer" avec des personnes décédées, est un des piliers de la science-fiction depuis des décennies. C'est une idée qui a été colportée par des charlatants et des médiums durant des siècles. Néanmoins, aujourd'hui, cette idée est devenue réalité. Une réalité de plus en plus accessible grâce aux progrès de l'intelligence artificielle (IA) et de la technologie vocale.

Mes vrais parents, en chair et os, sont toujours bien vivants. Leurs versions virtuelles n'ont été créées que pour m'aider à comprendre le fonctionnement de cette technologie. Ainsi, leurs avatars m'ont donné un aperçu d'un monde où il est possible de discuter avec des êtes chers - ou des simulacres de ces êtres chers - longtemps encore après leur disparition.

D'après les éléments que j'ai pu glaner au cours d'une douzaine de conversations avec les versions virtuelles de mes parents supposément décédés, je me suis rendue compte qu'il sera vraiment plus facile qu'auparavant de garder près de soi les personnes que l'on aime. Il n'est pas difficile de comprendre l'intérêt d'une telle application. Les gens pourraient se tourner vers ces répliques numériques afin de trouver du réconfort ou pour fêter les événements spéciaux tels que les anniversaires.

Toutefois, la technologie et le monde qu'elle permet sont, sans surprise, imparfaits. Les questions éthiques autour de la création d'une version virtuelle d'un être humain sont complexes surtout si cette personne n'a pas été en mesure de donner son consentement.

Selon certains observateurs, cette technologie peut même être inquiétante voire carrément effrayante. J'ai par exemple discuté avec un homme qui avait créé une version virtuelle de sa mère. Il a lancé l'application afin de lui parler de ses propres funérailles. Certains prétendent que le fait de converser avec des versions numériques d'êtres chers disparus pourrait prolonger le deuil ou même nous empêcher de distinguer la fiction de la réalité. Lorsque j'ai parlé de cet article à des amis, certains d'entre eux ont eu des réactions physiques laissant transparaître leur rejet de cette technologie. Il y a une croyance commune, profondément ancrée, selon laquelle il ne faut pas jouer avec la mort sinon cela risque de se retourner contre nous.

Je comprends tout à fait ces inquiétudes. Je n'étais pas tout à fait à l'aise lors des discussions avec les versions virtuelles de mes parents, surtout au début. Aujourd'hui encore, j'ai l'impression de commettre un acte légèrement transgressif en parlant avec une version artificielle de quelqu'un encore plus lorsque cette personne fait partie de ma propre famille.

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