
Capital : Quel est le rôle du Comité Colbert ?
Bénédicte Epinay : Le Comité Colbert est la plus ancienne association représentative du luxe dans le monde. Elle représente 14 secteurs et 115 membres. A ce titre, on est un interlocuteur privilégié des instances gouvernementales et européennes. Dès lors qu’un parlementaire, un commissaire ou un ministre veut parler au secteur du luxe, le Comité Colbert s’impose. Le lobbying fait partie de nos moyens d’action.
Pouvez-vous donner un exemple de lobbying positif du Comité Colbert ?
Dans le cadre de la règlementation européenne en cours de négociation sur les emballages, un article visait à limiter l’empreinte carbone des bouteilles de verre en uniformisant leur forme et leur taille. C’était oublier les formes liées aux appellations d’origine géographique pour le vin par exemple et la propriété intellectuelle qui protège celle des parfums. Notre rôle est alors d’informer la Commission européenne des risques liés à une réglementation, souvent par méconnaissance des chaines de valeurs de notre industrie.
Vous êtes depuis cinq ans déléguée générale de cette institution. Qu’est-ce que votre arrivée a changé ?
Avant mon arrivée, le Comité Colbert était une association active sur de nombreux sujets mais silencieuse, qui ne ressentait pas le besoin de communiquer vers l’extérieur. Le Covid a changé la donne : avec la perte de repères, l’urgence de partager, de prendre la parole est devenue pressante. Le choix de mon profil est intervenu avant la crise sanitaire mais mon expertise est arrivée au bon moment.
Parmi les actions que vous rendez visibles, il y a ce que vous appelez la « diplomatie culturelle », dites-nous en plus ?
Effectivement, c’est un terme qui s’est imposé l’année dernière à Shanghaï lorsqu’on a célébré les 60 ans de relations diplomatiques entre la Chine et la France. Pour l’occasion on a organisé un évènement culturel où l’on faisait dialoguer le savoir-faire des artisans de nos maisons avec ceux des artisans chinois. On venait confronter nos deux cultures au moment-même où le gouvernement chinois mettait des taxes sur nos cognacs. J’ai alors entendu des critiques sur l’intérêt de faire ce type d’évènement alors qu’on était dans l’œil du cyclone. Mais c’est justement quand on est dans ce genre de période complexe politiquement et économiquement que la culture est un pont pour reprendre le dialogue.
Cette diplomatie culturelle aide donc à faire bouger les lignes…
Oui, c’est très important. C’est aussi ce que font nos musées quand des expositions voyagent, quand le corps de ballet de l’Opéra se produit à l’étranger. Ainsi, l’an prochain, nous allons à nouveau nous inscrire dans un moment diplomatique, la célébration de 250 ans d’amitié Franco-américaine pour montrer et célébrer à New York dans une exposition, l’histoire américaine de nos maisons. Là encore, cet évènement va avoir lieu alors même que nos deux pays se sont en désaccord sur le niveau des taxes à l’importation.
Que va-t-il se passer au cours de cet évènement ?
Chaque maison va raconter un chapitre de son histoire qui les lie aux Etats-Unis. Nous en profiterons pour organiser un dîner plus officiel à la Résidence de l’Ambassade de France à Washington. L’occasion peut-être de passer quelques messages. La culture rassemble là où l’économie et le politique sont plus clivants.
Parallèlement à ce volet diplomatique, le Comité Colbert est également extrêmement engagé sur la question des dupes et de la contrefaçon…
La recrudescence de la contrefaçon, notamment grâce au digital nous préoccupe d’autant qu’elle se sophistique et que certains consommateurs la perçoivent comme un achat malin alors qu’il est illégal. Un autre phénomène est encore plus préoccupant, c’est celui des dupes qui sont une imitation d’un produit – un vêtement, un accessoire, ou même un parfum – sans reproduction du nom de la marque. Le problème, c’est que si vous achetez l’un ou l’autre, non seulement vous faites le jeu de réseaux criminels qui blanchissent ainsi leur agent, mais vous participez également au pillage de la propriété intellectuelle de nos maisons.
Mais avec l’envolée des prix du luxe, c’est quasiment devenu cool de consommer de la contrefaçon…
Cool sans doute mais illégal. Malheureusement, les sanctions sont rarement appliquées, c’est le sens de nos démarches entamées auprès des autorités françaises. Il faut informer et responsabiliser le consommateur. Acheter de la contrefaçon ou encourager les dupes, c’est contribuer à tuer la créativité de nos maisons.
Faire revenir les clients en boutique est donc un des plus gros challenge du luxe ?
Oui, Bain & Company a chiffré à 50 millions le nombre de consommateurs qui ont quitté le chemin des boutiques de luxe. Je ne doute pas que l’effervescence créative de la dernière fashion week parisienne avec de nombreuses premières fois de créateurs va contribuer à retisser ce fil. Les expériences en boutiques sont aussi devenues clés car les consommateurs veulent vivre quelque chose d’exceptionnel quand ils franchissent la porte d’un magasin de luxe.
Malgré la crise, est-ce un secteur qui continue d’attirer ?
Les deux guerres du Golfe, la crise de Lehman Brothers… ce n’est pas la première crise que ce secteur affronte. Oui l’industrie du luxe continue d’attirer les talents. Il suffit de regarder l’explosion du nombre de Masters luxe dans les grandes écoles. Les chiffres de participation à notre évènement Les Deux mains du luxe au Grand Palais sont aussi parlants : nous étions complets avec 40 000 inscrits avant même de démarrer notre communication. Le secteur aimante jeunes et moins jeunes car il produit de la beauté et fait rêver.


















