
Le pays semble fonctionner correctement et les Français paraissent s’habituer à cette instabilité gouvernementale. Bayrou désavoué par le parlement, la France dégradée dans la foulée par l’agence de notation Fitch, Lecornu est désigné par le Président de la République et arrive à Matignon séance tenante. Il se met au travail sans délai et consulte partis et centrales syndicales pour retoucher le projet de budget de son prédécesseur et le faire accepter par tous les bords politiques. Bref, la vie continue. Le sentiment prévaut d’une continuité. Il n’en est rien : la France a bien un Premier ministre, mais a un gouvernement démissionnaire, seulement habilité à expédier les affaires courantes. C’est beaucoup plus gênant qu’il y paraît. Outre le titre, que la quasi totalité des citoyens du pays ignorait avant qu’un Premier ministre fût censuré et obligé de présenter la démission de toute son équipe, celui de «ministre démissionnaire», a quelque chose de triste et sonne comme une défaite de l’intéressé, bien malgré lui. Dans l’entreprise, on n’aurait pas l’idée d’inventer ça…
Quel est le préjudice de cette étrange période? D’abord la ministre du Logement, Valérie Létard, n’est plus habilitée à participer physiquement à quelque manifestation professionnelle ou associative que ce soit. Cette semaine et la semaine dernière, plusieurs événements de première importance ont et auront eu lieu, sans que Valérie Létard puisse y accomplir deux missions précieuses d’ordinaire dévolues au discours devant une assemblée, informer des mesures prises le plus récemment au bénéfice de la filière et des projets, et témoigner de l’estime aux acteurs. Ces missions sont plus importantes que jamais.Ainsi, elle n’a pas pu clôturer la Convention nationale du Pôle Habitat FFB, l’un des syndicats de référence des aménageurs, des promoteurs et des constructeurs de maisons individuelles, à l’heure
où ces professionnels éprouvent des difficultés historiques. Ni le colloque organisé par des acteurs
majeurs de la rénovation énergétique, emmenés par le groupe Hellio -leader français de l’assistance à
maîtrise d’ouvrage financier-, sur le défi des copropriétés qu’elles peinent tant à relever. Elle ne
pourra pas davantage se rendre au Congrès annuel des HLM, qui doivent faire face à la demande la
plus massive que les organismes aient jamais connue, avec une file d’attente de 2,8 millions de
ménages demandeurs.
L’esthétique politique prend le pas sur l’efficacité
Le préjudice, ce sont aussi des textes réglementaires que les ministres concernés n’ont pas le droit de
signer, retardant l’application des lois. Les exigences de formation minimum pour les futurs
gestionnaires ou négociateurs immobiliers attendront leur décret encore quelques semaines…qui
s’ajoutent aux dix années au cours desquels il n’a pas été pris en application de la loi ALUR. Idem pour la nomination de la commission de contrôle des activités immobilières, découlant de la même loi.
D’autres textes encore sont de la sorte retardés. Avec un risque à la clé : leur remise en question si
d’autres personnalités sont nommées à la place des ministres en place, alors que des mois de
concertation et de réflexion se sont écoulés, dans la douleur pour beaucoup d’entre eux. Tout cela
parce qu’un successeur découvre tout et tient à marquer de son empreinte la production
réglementaire… Au demeurant, le temps pour informer et former un nouveau ministre rajoute des
délais incompressibles et les acquis de culture disparaissent avec les ministres et leurs cabinets.
Préjudice encore quant à la confiance des acteurs dans l’avenir et dans la concrétisation des projets
auxquels les ministres en exercice ont œuvré. Le doute que l’amortissement, inscrit par le précédent
Premier ministre dans le projet de budget pour 2026, survive aux changement d’équipe
gouvernementale taraude les professionnels comme les investisseurs potentiels. En tout cas
craignent-ils la dénaturation de la mesure, qui serait portée par des responsables politiques plus
tièdes et moins convaincus. Qu’en sera-t-il de l’enveloppe dévolue à MaPrimeRénov? De la diminution
de la réduction du loyer de solidarité? Des semaines à ne pas savoir, à s’interroger, tout ça parce
qu’il est demandé au chef du gouvernement de trouver un meilleur équilibre au sein de son
gouvernement. L’esthétique politique prend le pas sur l’efficacité et freine la bonne marche des
affaires.
Une période délétère et assassine
On peut également douter que les ministres démissionnaires gardent sur les administrations centrales
à leur service la même autorité. Et qui ne le comprendrait pas? Les hauts fonctionnaires changent de
patrons politiques tous les semestres et sont exposés à des contrordres qui malmènent leur action.
Il y a des moments où le sens du service public ne suffit pas à préserver l’enthousiasme… Comment
ces femmes et ces hommes garderaient-ils le feu sacré au même degré? Ces épisodes, alors qu’ils
sont garants de la continuité du fonctionnement du pays, la mettent en péril. Ils travaillent dans le
temps long et l’État les inscrit de plus en plus dans le temps court. Une conséquence perverse
pourrait d’ailleurs être qu’ils finissent par avoir le mépris de la politique et se mettent en tête de prendre
le dessus et de ne croire qu’en eux. C’est un reproche qu’on leur adresse déjà…mais à qui la faute?
On entend ainsi les diagnostiqueurs se plaindre du pouvoir excessif de la direction de l’habitat, de
l’urbanisme et des paysages : Valérie Létard a des convictions quant au rôle des diagnostiqueurs et
aux conditions de leur exercice serein: si demain elle venait à n’être pas renouvelée dans ses fonctions,
qui reprocherait à la DHUP de se sentir investie de la vraie responsabilité? Celle qui ne varie pas avec
les changements de pied politique ou les influences changeantes des courants. Et qui le lui
reprocherait pour le passé, si les ministres ne pilotaient avec un cap assez clair le monde du
diagnostic immobilier? Un ministre démissionnaire en titre n’a pas la légitimité.
Cette période sape l’action publique, l’affaiblit, la d’énerve. Le logement ne peut pas s’offrir ce luxe. Il ne
ressortit pas aux affaires courantes, à la marche sans objectif ni azimut, sans engagement. Quand les
Français ont tant de mal à se loger, il faudrait que la filière s’accommode d’une vie politique végétative.Cette période est délétère et assassine. Il est urgent que le Premier ministre y mette fin. La vie du logement, des ménages qui en ont besoin et des entreprises à leur service n’attend pas.



















