Trop, c’est trop. Après des mois à prêcher seul contre les recettes trop sucrées de certains produits industriels, le professeur Serge Hercberg, considéré comme le père du Nutri-Score, a décidé de passer à l’offensive. La salve lancée ce lundi 13 janvier en est d’autant plus virulente. Dans une tribune cosignée par une trentaine de nutritionnistes, endocrinologues et pédiatres spécialistes de l’obésité, il alerte sur le taux élevé de sucres de certains produits présentés comme bons pour la santé et demande une évolution de la législation pour protéger les consommateurs de ce double-discours.
Dans cette tribune intitulée «Quand l’arbre des allégations cache la forêt des sucres», les signataires qualifient de «confusante, voire trompeuse» la stratégie marketing des industriels de l’agroalimentaire, visant à mettre en avant une flopée d’allégations santé, sans éclairer l’ensemble d’une information nutritionnelle globale. Au final, le collectif vise surtout et nommément Danone pour ses gammes Actimel, Activia, HiPro et Danonino.
L’agacement des nutritionnistes face au double-jeu de Danone sur la santé
Ce qui agace les 36 signataires de cette tribune, c’est le double jeu des marques en général et celui de Danone en particulier, seul groupe nommément cité dans la tribune. En affichant des mentions telles que «le petit geste immunité des bonnes journées», «prend soin de votre bien-être digestif», «l’allié des sportifs», «des bons fruits, du lait, du calcium et de la vitamine D pour une bonne croissance osseuse normale des enfants», la marque masque le mauvais profil nutritionnel de son offre. «On ne voit pas (ou très difficilement) la teneur en sucres de ces produits qui pourtant contiennent des quantités importantes, entre 8 et 12 g/100 ml pour les différents Actimel du marché», indique le texte.
Or ces quantités sont importantes. «C’est autant de sucre que dans un soda classique ou un lait aromatisé !», rappellent ces spécialistes. En s’appuyant sur la liste des ingrédients inscrite sur les emballages, les experts comparent ainsi la nouvelle gamme Actimel+ à d’autres boissons bien connues. Et avec 10,8 grammes de sucre pour 100 ml, l’Actimel+ en compte davantage que le Coca-Cola classique (10g/100ml), ou le Capri Sun (7 à 10g/100ml, selon les références).
Les différentes versions de ces Actimel+ contiennent, comme d’autres Actimel déjà présents sur le marché, des quantités de sucres importantes (10,8g/100ml), c’est à dire autant, voire plus de sucres que d’autres boissons sucrées, par exemple le Coca-Cola classique contient 10g/100ml.
Objectif : dénoncer l’abandon du Nutri-Score par Danone
Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est la décision du groupe piloté par Antoine de Saint-Affrique de ne plus afficher le Nutri-Score sur ses emballages, depuis la réforme du barème de notation. Effectivement, quelques semaines avant l’entrée en vigueur du nouveau mode de calcul, qui annule le bonus jusque-là attribué aux boissons lactées, végétales et aux boissons fermentées à base de lait, Danone a annoncé sa volonté de se retirer du label. Alors que la guerre couve depuis des mois entre le groupe français et Serge Hercberg, Danone tente de justifier son choix, en dénonçant une injustice.
«La révision de l’algorithme qui bascule les produits laitiers et d’origine végétale à boire dans la catégorie des boissons nous semble contestable d’un point de vue méthodologique : cette évolution apporte une vision erronée de la qualité nutritionnelle des produits laitiers à boire, ne soutient pas les efforts et les investissements de reformulation, et entraîne donc de la confusion auprès des consommateurs», estime le groupe Danone. Pas question pour Serge Hercberg de laisser mettre en doute le travail du comité scientifique en charge du pilotage du Nutri-Score. «Les industriels savaient qu'il y aurait des mises à jour : la science évolue et avec l'expérience on se rend compte des eventuelles imperfections du système, ce qui nécessite de les corriger. Ce qu'on attendait des industriels, c'est qu'ils jouent le jeu de la transparence, sur des bases scientifiques», précise le professeur émérite de Nutrition.
Une note « E » pour les Actimel aux fruits. Pour apporter cette transparence, la tribune donne le Nutri-Score des produits Danone qui ont choisi de ne pas ou plus l’afficher. Ainsi, l'Activia kéfir saveur myrtille écope d’un classement «D», tandis qu’Actimel Kids rétrograde en «C» et que les Actimel aux goûts fruités (fraise, framboise…) obtiennent un «E», soit la pire note sur l’échelle du Nutri-Score. Le collectif s’inquiète d’autant plus du mauvais profil nutritionnel d’Actimel, que cette marque est consommée par 4 millions de foyers français à ce jour, pour un chiffre d’affaires de 101 millions d’euros, selon cette tribune. D'ailleurs, les chiffres du groupe démontrent que l'offensive de Danone sur la santé fonctionne.
Danone sous pression des nutritionnistes et... de Carrefour !
Cette publication vient ajouter une pression supplémentaire sur l'entreprise, alors que Danone est sous le feu des critiques depuis des mois pour sa suppression du Nutri-Score sur les emballages d’Actimel, Danonino, ou Activia. En novembre dernier, c’est le distributeur Carrefour qui en remettait une couche en annonçant sa volonté de faire apparaître ce label coûte que coûte à côté des produits sur son magasin en ligne, en calculant le Nutri-Score pour les marques si nécessaire. «Nous avons écrit à 550 industriels dont nous vendons les produits en France, on attend leurs réponses», précise Carine Kraus, directrice de l’engagement du groupe Carrefour, sans connaître à cette heure la réponse de Danone.
Selon les experts du droit, le géant français pourra difficilement se faire imposer un affichage qu’il refuse. «Danone a retiré le Nutri-Score de certains de ses produits car il n'était pas très bon, c'est son droit puisque cet affichage n'est pas une obligation légale. Si Carrefour souhaite le faire apparaître malgré tout, cela se défend en termes de liberté d'expression, mais cela ne doit pas être dénigrant», précise toutefois Catherine Robin, avocat associé, du cabinet Alerion. Il n’empêche, pour son image de géant de l’alimentation santé, cet affichage par les nutritionnistes est sans doute bien plus mauvais que celui d’une mauvaise note sur ses emballages.
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