
Depuis son audition tendue devant la Commission d'enquête du Sénat sur les eaux en bouteille, le 19 mars dernier, Muriel Liénau, la directrice générale de Nestlé Waters, fait profil bas. Alors que les nuages s'amoncellent au-dessus des marques emblématiques de son portefeuille que sont Vittel, Hépar et Perrier, elle travaille en coulisses avec ses équipes à sauver ce qui peut l'être.
Ce vendredi 16 mai, la dirigeante devait se rendre à Nîmes, pour rencontrer les responsables de la Préfecture du Gard et de l'agence régionale de Santé (ARS), afin de discuter des solutions possibles pour continuer à produire la marque Perrier sur son site de Vergèze (30).

Perrier doit se mettre en conformité avant le 7 juillet, sinon...
La menace est réelle. La semaine dernière, le préfet a mis l'entreprise en demeure de retirer le système de microfiltration utilisé depuis 2023. Ce fameux système, que les équipes de Nestlé avaient fait valider en 2023 par une décision interministérielle restée secrète, et qui avait fait remonter jusqu'à l'Elysée le scandale qui agite le secteur depuis des mois. Cette fois, Perrier a deux mois pour se mettre en conformité, faute de quoi son autorisation de captage d'eau serait suspendue. Soit avant le 7 juillet…
"Nous sommes déterminés à conserver la mention eau minérale naturelle en répondant à la demande de la préfecture". Muriel Lienau, Nestlé Waters
Sauf que ce filtre permet d'assurer la sécurité sanitaire des eaux Perrier avant leur mise en bouteille. Pour l'entreprise et le secteur, l'enjeu est de taille, alors que Perrier est la première marque d'eau minérale pétillante du marché hexagonal, et un fleuron français qui s'exporte dans de nombreux pays. «Nous sommes déterminés à conserver la mention eau minérale naturelle en répondant à la demande de la préfecture», assure Muriel Liénau. Malgré les 50 millions d'euros déjà investis sur le site de Vergèze, pour le mettre une première fois en conformité, en 2023, l'entreprise est à nouveau sommée de trouver une autre méthode. «Un traitement interdit en a remplacé un autre. Le gouvernement qui avait validé le plan de transformation de Nestlé Waters est lourdement fautif. Il s’est placé en marge de la légalité en validant des investissements dans certains processus aujourd’hui clairement écartés par les préfets», avait indiqué le sénateur Alexandre Ouizille, après la décision du Préfet du Gard.
Nestlé ne s'avoue pas vaincue pour autant et estime que de nouvelles adaptations sont possibles. «On a des solutions à proposer, plusieurs alternatives au système en place», promet la dirigeante, sans pour autant chiffrer les investissements ou le temps nécessaires à ces modifications.
Un débat technique sur les filtres, entre 0,2 et 0,8 micron, dont dépend la survie de la source Perrier
Les solutions envisagées ne sont pas non plus dévoilées. Mais lors des échanges devant la Commission d'enquête du Sénat, les représentants du géant suisse ont plusieurs fois déclaré que selon eux, le filtre à 0,8 micron en céramique utilisé par de nombreux autres acteurs de la filière aurait le même effet que celui à 0,2 micron mis en place à Vergèze. Or, contrairement au traitement à 0,2 micron que certains comparent à de la désinfection, le modèle 0,8 micron semble respecter l'avis publié en 2001 par l'Autorité européenne de la sécurité sanitaire (Afssa), qui fait office de jurisprudence en matière d'eau minérale naturelle.
Si ce modèle de filtre était effectivement une des solutions envisagées par Nestlé et validé par les autorités du Gard, Perrier pourrait alors lancer les travaux sur ses installations et continuer à produire ses fameuses bulles. Dans le cas contraire, l'avenir du site serait sérieusement compromis. Car même si le groupe a lancé avec succès Maison Perrier, dont le classement en "eau de boisson" offre une plus grande souplesse réglementaire, la jeune pépite reste une goutte d'eau, tandis que le Perrier "eau minérale naturelle" représente encore la majorité du chiffre d'affaires.
Surtout, si ce filtre à 0,8 micron devait être invalidé, de nombreuses marques d'eau pourraient être rapidement inquiétées par effet de rattrapage… L'avenir des eaux minérales en bouteille se jouera donc dans le Gard dans les prochaines semaines et lundi 19 mai à Paris, lorsque les sénateurs dévoileront les conclusions de leur rapport d'enquête.

















