Galerie des Batailles, château de Versailles, le 14 février dernier. Dans la plus vaste des salles du palais du Roi-Soleil, 800 invités en smoking ou en robes longues patientent, avant que ne leur soient servis un homard à la cuisson bleue, suivi d’un carré de veau rosé, puis un saint-nectaire d’origine exceptionnelle, et enfin un irrésistible dessert aux accents d’agrumes. Un échantillon de l’excellence de table à la française, offert à des convives triés sur le volet, qui parlent français, anglais, cantonais ou portugais. Nous ne sommes pourtant pas à un dîner d’Etat ordonné en l’honneur du nouveau roi Charles III, ou du président américain Joe Biden. Les VIP du jour ont répondu à l’invitation d’une société bien particulière, celle des grands vins de Bordeaux. Une sorte de cartel des grands crus, incarné ce soir-là par une organisation au nom à rallonge: la Commanderie du Bontemps du Médoc, des Graves, de Sauternes et Barsac… ouf !

Dans ce décorum digne de l’Ancien Régime, il y avait en effet tout ce que Bordeaux compte de puissants producteurs de grands vins, de négociants, de courtiers, mais aussi des importateurs du monde entier, sans oublier quelques people, pour épater la galerie. Carbonnieux 2018, Léoville Poyferré 2008, Château Margaux 1986, Fargues 2008… Les connaisseurs apprécient la valse des belles étiquettes. Y compris François Hollande, invité à la table d’un de ces magnats girondins, le bien nommé Patrice Pichet, propriétaire des Carmes Haut-Brion et milliardaire de la promotion immobilière.

Des multinationales de poche

De tels barnums, seuls les grands bordeaux sont capables d’en monter, et ce plusieurs fois par an, dans plusieurs capitales du monde. Comme Singapour, où leur salon professionnel Vinexpo s’est installé fin mai 2023. En proposant sensiblement le même programme, à commencer par des intronisations de «chevaliers» honoraires de la Commanderie. Comprendre: des compagnons de route commerciaux, souvent de nationalités multiples, et qui n’ont pas démérité – tous jurent d’ailleurs publiquement, avec des accents dignes de la Table ronde, de «défendre» leur vie durant les intérêts des meilleurs médocs. En matière de communication de prestige, chapeau bas !

Il s’agit là d’un des piliers de la stratégie des grands crus bordelais, depuis leur renaissance au cours des années 1980. Moins de 200 étiquettes jouent dans cette cour, certaines très célèbres (Petrus, Lafite, Latour, Margaux, Cheval Blanc, Figeac…), d’autres non moins puissantes (Cos d’Estournel, Angelus, Ausone, Pavie, Montrose, Palmer…). La plupart sont des châteaux classés, que ce soit rive droite (côté Saint-Emilion) ou rive gauche (Médoc et Graves), à de notables exceptions près, comme les ténors de Pomerol (sans classement officiel actuel, le dernier en date remontant au gouvernement de Vichy).

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