Vente exceptionnelle. Propriété rénovée avec vue sur mer, 50 000 euros, «ancien Ehpad au rabais». Il s’agit bien d’une fausse annonce… pour le moment. Mais elle pourrait très bien, un jour, se retrouver sur Leboncoin. Cette campagne choc de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires (Fehap) va droit au but. Si les pouvoirs publics ne mettent pas les financements nécessaires, ce cauchemar d’une vente bradée sur un site de petites annonces pourrait un jour devenir réalité. Car le secteur entier des Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est en train de s’enfoncer dans une crise sans précédent.

La Fehap a fait ses comptes. En 2023, 73% de ses Ehpad adhérents étaient en déficit. Et on ne parle pas de milliers d’euros mais plutôt de plusieurs centaines de milliers d’euros. Dans la région Grand Est, le déficit moyen des établissements frôle ainsi les 200 000 euros. Les causes de cet enlisement financier sont connues : l’inflation subie de plein fouet par les établissements (hausse principalement des prix de l’énergie et de l’alimentation) ainsi que la non-compensation par l’Etat des primes promises au personnel dans le cadre du Ségur de la santé et de la prime grand âge. Autre problème : faute de personnel soignant, les établissements ont de plus en plus recours à l’intérim ou aux CDD, une main-d'œuvre plus chère.

Une crainte sur le paiement des salaires

Face à cette situation, les directeurs d’établissements sont de plus en plus inquiets. «Tous mes collègues me disent qu’ils sont en très grande difficulté financière, au point même que certains commencent à rencontrer des problèmes pour payer les salaires», alerte Didier Chesnais, directeur général de la Fondation Normandie générations, qui gère notamment trois Ehpad privés associatifs à but non lucratif. «Certains Ehpad qui avaient un peu de trésorerie arrivent encore à s’en sortir mais ceux qui sont isolés et qui avaient peu de réserves sont en train de prendre le bouillon», constate de son côté Jean Caramazana, directeur général de l’Abrapa, association qui gère notamment 13 Ehpad dans l’est de la France.

Sans soutien plus appuyé de l’Etat et des conseils départementaux, les responsables d’établissements bricolent. Mais les rustines qu’ils mettent sur un secteur en détresse risquent de ne plus tenir très longtemps. «Nous faisons une croix sur certains investissements qui étaient pourtant importants. Ainsi, nous reportons à plus tard les travaux de rénovation de nos bâtiments, ce qui veut dire que nos locaux vont être moins accueillants, en moins bon état», regrette Didier Chesnais.

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Des résidents à la rue ?

Mais à force de tirer sur la corde, les directeurs eux-mêmes commencent à craquer et vont jusqu’à décider de changer de métier. D’autres tentent toujours de sortir leur établissement du marasme mais sont confrontés à des projections financières annonçant leur structure en faillite dans l’année qui vient. «Si l’Agence régionale de santé ou le conseil départemental n’aide pas ces Ehpad, ils risquent de fermer leurs portes et certains résidents pourraient se retrouver sans solutions», craint Didier Chesnais.

Avant d’en arriver à une situation aussi dramatique, les établissements en faillite pourront être rachetés. «Je ne pense pas forcément qu’ils fermeront, mais plutôt qu’ils seront repris, souvent par de plus grands groupes», estime Jean Caramazana. Et finalement, c’est tout un secteur qui pourrait se redessiner avec d’un côté des Ehpad publics, souvent rattachés à un centre hospitalier et, de l’autre, des gros groupes privés à but lucratif qui rachèteront les petites structures associatives en difficulté. «On va vers un changement de prise en charge avec une notion de lucrativité, juge le directeur général de l’Abrapa. Il y aura de la discrimination avec ceux qui auront les moyens de se payer un Ehpad et les autres.» Loin, donc, du droit universel à la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie.