
Maeva Delaruelle et Johan Ramsayer ont réalisé leur rêve : depuis 2023, ce couple passionné de saké produit sa propre version de la célèbre boisson fermentée japonaise dans une petite manufacture installée à Cabestany (Pyrénées-Orientales). Le duo n’a jamais mis les pieds au Japon, mais, heureux hasard, tous deux sont diplômés de microbiologie : «Les procédés de fermentation, ça nous parle… Après plusieurs années de tests en amateurs, nous nous sommes lancés dans l’aventure», résume Johan. Le résultat, pour l’instant modeste, est là : une gamme de cinq «cuvées» produites à quelques milliers d’exemplaires, écoulées chez les cavistes et dans quelques restaurants de la région.
La recette tient en un étonnant syncrétisme franco-japonais : du riz de Camargue, de l’eau de source des Pyrénées, mais aussi des levures d’origine japonaise, comme le sacro-saint «koji» – un ferment issu de la moisissure d’un champignon. Les jeunes producteurs sont capables de reproduire à la fois la méthode moderne «sokujo» (90% de la production au Japon) et l’ancestrale «kimoto» (la différence tenant en la nature des acides lactiques produits).
L’objectif est de doper la palette de goûts : «Les sokujo seront de couleur plus claire, aux arômes de fleurs blanches, parfois fumés, les kimoto sont un plus complexes, plus lactés, axés sur les fruits frais, comme le melon ou les litchis», détaille Maeva.
Un saké adapté au goût des Français
Le projet, baptisé Azerou, ne consiste évidemment pas à singer les authentiques sakés japonais, dont le goût peut être déroutant. Les quelques pionniers français (on en compte une demi-douzaine) cherchent tous à adapter la recette pour draguer les amateurs de craft beers ou de vins blancs fruités. Car le saké a le vent en poupe.
Non seulement il bénéficie de la popularité dont le Japon jouit auprès du jeune public, mais il attire aussi les amateurs avertis, intrigués par ce vin de riz un peu étrange, dont le goût se rapproche de celui de nos sauvignons. «Mon angle d’attaque, ce sont les accords mets-saké. Cet alcool japonais est magnifique à table, il permet réellement de révéler le goût des beaux aliments», explique Grégoire Bœuf, qui fut le premier à brasser le saké en France, en 2017, avec sa société Les Larmes du Levant, à Pélussin (Loire).
La haute gastronomie s'intéresse au saké
Dans cette région de haute gastronomie, plusieurs grands noms lui ont fait confiance : Troisgros, Anne-Sophie Pic, la Mère Brazier, Bocuse, etc. «J’ai une grosse clientèle d’étoilés, ils proposent mes sakés sur leurs cartes des vins car les chefs et les sommeliers s’intéressent de plus en plus aux possibilités de ce produit», résume l’entrepreneur. Amoureux fou du Japon, il produit une gamme plus proche des canons traditionnels, avec des riz 100% nippons («yamada-nishiki» ou «tamasakae»).
Il attend surtout une nouvelle machine venue d’Extrême-Orient, qui va lui permettre de travailler avec un degré de «polissage» maximal. Il pourra ainsi rogner jusqu’à 50% de la masse de l’écorce du grain, critère de haute qualité au Japon, sachant que les producteurs européens restent autour de 80 à 90%. Ses quatre sakés portent des noms poétiques : Tonnerre, Vent, Vague ou Aube. Ils cherchent tous à exhaler de multiples arômes – fruités (cerise, pêche blanche), fermentaires (cacao, riz soufflé), ou encore végétaux (cèpes, morilles).

Déguster un saké dans un «izakaya»
Toutefois, pour s’immerger dans cette néoculture saké, rien ne vaut l’étonnant «izakaya» (sorte de pub) ouvert par la société francilienne Wakaze à Paris, en plein Ve arrondissement. Les aficionados y dégustent une cuisine de comptoir 100% tokyoïte arrosée de breuvages (servis à la tireuse, comme là-bas !) confectionnés dans sa manufacture de Fresnes (Val-de-Marne).
Il s’agit d’une véritable brasserie de saké, qui travaille avec du riz de Camargue et des levures de vins blancs de Bourgogne, sous la supervision d’un maître brasseur venu de l’archipel. «C’est le cœur de notre démarche expérimentale, c’est là que nous testons nos créations. Par exemple, nous travaillons actuellement à rendre légèrement effervescent notre classique «junmai» (catégorie premium, NDLR)», annonce Anna Renaud, responsable du projet en l’absence du fondateur, Takuma Inagawa, parti lancer Wakaze USA pour un projet de canette de saké effervescent.
Wakaze s’est associé avec Thierry Marx, autre fan connu du Japon, pour lancer une nouvelle gamme. Une de ses créations, L’Unique, est un saké affiné trois mois en fût de whisky, ce qui lui confère une attaque en bouche boisée et vanillée, parfaite pour un dessert élaboré à base de fruits secs et de miel. Les izakaya se multiplient dans la capitale : associé avec la marque Dassai (le plus français des sakés japonais), le chef Yannick Alléno vient d’ouvrir le sien dans le VIIe arrondissement.
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