Le fleuron français de la distribution va-t-il se faire croquer par un concurrent étranger ? La révélation par La Lettre d’un projet de rachat de Carrefour par le spécialiste néerlandais de la distribution, le groupe Ahold-Delhaize, a suscité des questions lors de l’assemblée générale du groupe Carrefour, qui se tenait au siège, à Massy, mercredi 28 mai.

«Le cours de bourse s’est effondré de 30% depuis 2018 (…) notre valorisation nous rend totalement opéable, vulnérable», a notamment rappelé Erwanig Le Roux, délégué syndical CFDT du groupe, en ouvrant la séance de questions aux dirigeants. Un syndicaliste de FO a été plus clair encore, en demandant à Alexandre Bompard «suite à la tentative de rachat par Ahold-Delhaize» de « nous éclairer sur les opportunités ou alliances stratégiques ». Une question bien légitime alors que la concentration du secteur est en marche et que Carrefour a déjà fait figure de proie ou de gendre idéal ces dernières années.

Des rumeurs récurrentes à un an de la fin du mandat du PDG

Patron d’un groupe coté, Alexandre Bompard n’a certes pas pu faire toute la lumière sur les discussions avec le néerlandais. Mais il ne s’est pas privé d’en faire une lecture positive de son mandat. «Je ne peux pas commenter les rumeurs sur ce type de sujet», a commencé le PDG du groupe, avant de noter «ça met en avant la grande attractivité de notre entreprise». Selon lui «ces approches mentionnées et d’autres types de discussions sur d’autres géographies, ça dit que Carrefour va bien et a un bel avenir», a-t-il précisé.

En évoquant « plusieurs discussions », le patron estime que son groupe a retrouvé son lustre. Au point que désormais, le numéro deux français intéresse. «Les deux trois premières années, je ne recevais aucun coup de fil ; maintenant je reçois des coups de fil, ça dit que Carrefour a de la valeur», a martelé Alexandre Bompard, sans dévoiler de noms.

L'action Carrefour passée sous la barre des 15 euros

A un an de la fin de son mandat, ces nouvelles rumeurs en rappellent d’autres. Souvenez-vous de la tentative de rachat avortée du canadien Couche-Tard en 2021, ou du «projet Merlot», quelques mois plus tard, qui préparait un rapprochement avec l’enseigne Auchan. A chaque fois, le bas niveau du cours de bourse et donc la faible valorisation du groupe ont éveillé l’appétit d’acteurs en quête de taille critique. Loin des 80 euros qu’elle valait au tournant des années 2000, l’action Carrefour est passée sous la barre des 20 euros en avril 2022 et se situe à ce jour sous le seuil des 15 euros.

Je suis un client ravi, ravi, mais un actionnaire extrêmement insatisfait des performances boursières

Les syndicats ne sont pas les seuls à trouver cette valeur inquiétante. Les principaux actionnaires, comme la famille Houzé-Lemoine, espèrent pouvoir un jour céder leur participation en y perdant le moins possible. Les minoritaires aussi. «Je suis un client ravi, ravi, a commencé Charles Lucas, mais un actionnaire extrêmement insatisfait des performances boursières». Au micro, il a enchaîné sur une comparaison avec l’Américain Walmart dont «l’action a pris 291% en dix ans, versus -51% pour Carrefour». L’occasion pour Alexandre Bompard de révéler son admiration pour «la très grande réussite» du géant américain de la distribution, un acteur avec lequel il échange et voit comme «le guide, le modèle». Selon le stratège, le succès de Walmart s’explique non seulement par la dynamique du marché américain, mais aussi par le boulevard dont il dispose avec une concurrence distante de ses magasins de 30 minutes en moyenne, contre 2 minutes chez nous. Cette explication faite, Alexandre Bompard a admis : «Notre conviction sur le cours de bourse : on doit faire mieux et on fera mieux».

«Carrefour est à son plus haut niveau de parts de marché depuis 10 ans et atteint une performance financière historique», selon Alexandre Bompard.
«Carrefour est à son plus haut niveau de parts de marché depuis 10 ans et atteint une performance financière historique», selon Alexandre Bompard. © Capure d'écran Capital

Le secteur de la distribution "protégé des soubresauts de la guerre commerciale"

Même si une OPA n’est pas annoncée, des changements de périmètre sont à prévoir, alors qu’une profonde revue des actifs stratégiques a été engagée, et que le patron promet «des activités ou des formats sur lesquels on décidera de s’associer ou de vendre dans les prochains mois (…) pour améliorer la valeur boursière de cette entreprise».

Et de donner des gages d’optimisme aux investisseurs. D’abord, Carrefour a réduit l’écart de prix avec Leclerc et regagne des parts de marché et des clients. «Carrefour est à son plus haut niveau de parts de marché depuis 10 ans et atteint une performance financière historique», avait d'ailleurs rappelé le PDG lors de sa présentation en préambule. Ensuite, le groupe a prévu de réinvestir fortement dans ses actifs. Un plan de 150 millions d’euros d’investissement dans la rénovation des magasins et des outils logistiques a d’ailleurs été annoncé. Après l'intégration de 60 magasins Cora, 115 Match et 27 points de vente Casino en 2024, cette annonce vise à remettre le réseau au niveau.

Et à l’heure où les industriels du luxe, des spiritueux, ou des cosmétiques s’interrogent sur les conséquences des tarifs douaniers voulus par l’administration Trump, Alexandre Bompard croit que la distribution a un avantage. «Notre secteur est un peu protégé des soubresauts des guerres commerciales. On est un peu une valeur refuge», assure-t-il. Un appel du pied aux investisseurs prudents?