Cette année, sur le stand du Jura au Salon international de l'agriculture (SIA), vous verrez peut-être un drôle de poulailler en plastique trôner aux côtés des bouteilles de vin jaune et des meules de Bleu de Gex. Et s'il ressemble aux petites maisons de jardin pour enfants, c'est normal. Car ce poulailler est un produit du catalogue du spécialiste des jouets Smoby, une marque dont les ventes cartonnent d'ordinaire à Noël. Lancé après la pandémie de Covid, lorsque les Français se sont pris de passion pour l'élevage de cocottes et que le marché s'est envolé, ce modèle est tout ce qu'il y a de plus sérieux: durable, facile à nettoyer et naturellement protégé des poux rouges. La marque en a déjà vendu près de 30 000, et espère accélérer grâce à cette mise en avant inédite.
Pour autant, le poulailler Smoby n'aurait probablement jamais atterri sur ce stand de la Porte de Versailles à Paris, si Alexis Delorme, le directeur général de Smoby, n'était pas également un exploitant agricole jurassien. «Je suis double actif par chance, et ce genre de lien entre mes deux activités fait partie des trucs qui m'amusent», admet-il.

Chez les chefs d'exploitation, environ 20% de double-actifs

Alexis Delorme est ce que la Mutualité sociale agricole (MSA) nomme un pluriactif. Selon ses données, 20% des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole exerçaient une activité secondaire en 2021. Et le phénomène gagne du terrain à mesure que la relève s'opère dans les exploitations, puisqu'en 2022, près de 40% des nouveaux installés se déclaraient aussi pluriactifs.

Si cette double casquette cache souvent la nécessité, dans une profession aux revenus faibles, de rapporter un deuxième salaire, elle révèle aussi le choix souvent assumé d'une nouvelle génération d'agriculteurs. «La double activité correspond à un changement de modèle. Il s'agit de ne pas faire que le métier d'agriculteur et de ne pas être agriculteur toute sa vie», expliquait récemment le sociologue Claude Compagnone, lors d'une table-ronde sur le thème "Être agriculteur en 2025". Concrètement, en parallèle de ses lignes d'injection plastique de dernière génération, le boss de Smoby pilote aussi une exploitation laitière de 150 hectares qui produit annuellement 250.000 litres de lait en AOP comté. L'exploitant livre ensuite son précieux butin à la Coopérative des Erythrones, qui tranforme annuellement 180.000 meules de comté, et dont il est un des vingt sociétaires. Mais le seul avec une double casquette, qui peut compter sur ses trois salariés, pour l'essentiel des tâches hebdomadaires. «Je suis une exception, relève-t-il. Tous les autres sont dans leurs exploitations à travailler du matin au soir, jour et week-end».

Un suivi facilité par des outils numériques

Un simple pilotage à distance? Facile, vous dites-vous. «Facile, non, mais gérable», riposte Alexis Delorme. Sur son téléphone, le directeur général de Smoby a d'ailleurs une icône qui n'a rien à voir avec les jouets en plastique, ni avec ses sites de production. Synest est une application dédiée au suivi de l'exploitation et son cheptel, chaque bête y est renseignée. S'il ne se connecte pas entre deux réunions, Synest lui permet de faire le point avec ses équipes le week-end: résultats sanitaires et laitiers, contrôles de la qualité par le laboratoire… Un SMS en cas de problème et un point le vendredi ou dans le week-end suffisent pour organiser les sept jours suivants, et lui permettre de se consacrer à l'activité de Smoby la semaine.

Je suis double actif, mais je n'ai pas de double salaire et je ne partirai pas à la retraite plus tôt.


A ce compte-là, les revenus laitiers ne lui bénéficient pas directement. Alors que son père peinait à trouver un repreneur pour l'exploitation familiale, sa nomination à ce gros poste à proximité, a permis à Alexis Delorme de trouver une solution pour conserver l'exploitation. «Je suis double actif, mais je n'ai pas de double salaire et je ne partirai pas à la retraite plus tôt», note-t-il. Avant de préciser: «Ça me permet de garder le patrimoine et, le temps voulu, je pourrai le transmettre». Le week-end venu, le boss laisse donc son costume de patron et enfile ses bottes d'agriculteur, pour s'occuper de la culture des céréales ou des bêtes. C'est lui prend le relais. «Avec une entreprise de plus de 350 personnes, ça me permet de me vider la tête, on revient à des choses plus simples, il faut être efficace», confie le double-actif.


Mais qu'en pensent donc les patrons du patron, étant donné que Smoby est une filiale du groupe familial allemand Simba-Dickie ? «Nous n'avons pas d'accord écrit mais ils sont au courant et ça les fait sourire», assure Alexis Delorme. Il faut dire que ce jovial patron n'est pas avare en invitations. À ceux qui viennent jusque dans le Jura pour discuter du référencement de la cuisine Smoby ou du toboggan, le boss propose souvent un petit détour hors des linéaires des supermarchés, ou des magasins de jouets. Après la visite de l'usine, beaucoup sont ainsi invités à traire les vaches ou déguster une meule de comté à la coopérative. De quoi créer un relationnel bien différent et marquer un point. Voire les doubler !