
«Les chambres étaient identiques partout. Il n’y avait plus de restaurant, plus de barman. Tous les coûts étaient réduits.» Dans son bureau, habillé d’un élégant kimono, Emmanuel Sauvage retrace le glissement des chaînes hôtelières vers la standardisation à outrance. Le directeur général d’Evok Collection veut faire tout le contraire, lui qui se décrit comme un «créateur de souvenirs». Dans ses cinq établissements – tous des cinq-étoiles –, la décoration est accordée au lieu de l’hôtel, il y a de la cuisine de grands chefs et les salons accueillent des événements culturels.
Fondée en 2014, l’entreprise fait partie d’une cohorte de petits acteurs qui dynamisent l’hôtellerie du luxe. Ils s’appellent Experimental, Paristory, Maisons Pariente, H8 Collection, Chapitre Six… Loin du décorum des palaces et des usines à dormir, ils partagent le même constat. «Avoir de jolies chambres et un petit déjeuner ne suffisent plus. Il faut que l’hôtel soit un lieu de vie», expose Julie Marang, cogérante du groupe Paristory avec sa sœur Alexandra.
Le luxe est à la peine, mais pas dans l'hôtellerie
A la terrasse du Grand Hôtel du Palais Royal, Julie Marang ne se plaint pas des affaires. Alors que le prix de la nuitée dépasse les 1000 euros dans l’établissement, des clients sont refusés tous les jours. «Le marché du luxe est à la peine, mais cela exclut l’hôtellerie. Ce qui fait rêver, c’est d’aller découvrir de nouveaux lieux et d’être là où il faut être», analyse Stéphane Pinatton, expert de l’hôtellerie au cabinet OMS. Une tendance partie pour durer : le nombre de chambres dans les hôtels de luxe pourrait grimper de 53% en Europe entre 2023 et 2028, selon des projections du cabinet de conseil Savills.
Le marché est porteur, mais cela ne retire rien au panache de ces hôteliers. Derrière Experimental, qui pèse aujourd’hui 80 millions d’euros de chiffre d’affaires, il y a trois amis d’enfance partis de Montpellier avec des moyens modestes. «Nous avons commencé avec 15 000 euros en poche chacun, à une époque où être entrepreneur n’était pas aussi cool. Les levées de fonds ne se faisaient pas comme aujourd’hui», se souvient Romée de Goriainoff. Cet apport permet d’ouvrir un premier bar à cocktails à Paris en 2007, avant que le trio n’arrive dans la restauration puis dans l’hôtellerie avec l’ouverture du Grand Pigalle en 2015. Un fonds de commerce acheté pour quelques millions d’euros.
Des jeunes acteurs qui concurrencent les grands groupes
«Le bar était très rentable et nous avons tout réinvesti. Cela nous a permis de grossir très vite», explique le dirigeant, aujourd’hui à la tête de 15 adresses. Experimental ne possède pas les murs : dans l’hôtellerie, beaucoup de marques assurent simplement la gestion de l’hôtel et se rémunèrent en récupérant une commission sur les revenus du site. «J'ai deux clients : le client final et le propriétaire de l’immeuble. La concurrence se joue plutôt sur l’obtention des mandats de gestion», détaille Romée de Goriainoff.
Autrement dit, il faut faire valoir ses arguments à côté de géants comme Accor, qui compte 566 hôtels dans sa division «luxe & lifestyle». «Certains groupes sont devenus tellement gros qu’ils ont du mal à gérer les hôtels. Nous, on reste dans le cœur des opérations», fait valoir l’entrepreneur, en évoquant des projets en Grèce et aux Etats-Unis. «Les grands groupes restent les leaders incontestés. Mais ces jeunes acteurs ont donné de l’impulsion au marché du luxe et ont poussé certains à se moderniser», arbitre l’expert Stéphane Pinatton.
Les fortunes françaises investissent dans les hôtels haut de gamme
Ce milieu bouillonnant d’activité attire l'œil des grandes fortunes de France. «L’hôtellerie est un placement de long terme, à la fois rassurant, sympathique et prestigieux», fait remarquer Stéphane Pinatton. Le groupe Evok Collection a ainsi été cofondé avec le multimillionnaire Pierre Bastid et s’appuie sur sa foncière immobilière. En 2024, le fonds d’investissement de la famille Courtin (propriétaire du groupe Clarins) est également entré au capital d’Evok en engageant 130 millions d’euros. «Nos activités sont très complémentaires. Ils ont une expérience sur les spas», souligne Emmanuel Sauvage.
La même année, Experimental a accueilli le célèbre créateur de souliers Christian Louboutin comme actionnaire minoritaire. Chez les soeurs Marang, on tient à l’indépendance. «On restera actionnaires à 100%. Nous avons une gestion saine qui nous permet d’investir s’il le faut», argumente Julie Marang. Des chaînes hôtelières petites, certes, mais aux maillons forts !
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