On a beau avoir été anobli depuis quinze ans, qui plus est par la défunte reine Elisabeth, cela n’empêche pas de vouloir coller à l’air du temps… C’est ainsi que sir James Dyson, statistiques maison à l’appui, aime désormais souligner que les hommes ont 60% de probabilités en plus de passer l’aspirateur à la maison quand la famille est équipée d’un des modèles, sans sac et sans fil, qui ont fait la renommée de sa société. Et voilà donc le haut niveau d’inventivité et de technicité de cette marque anglaise convoqué pour motiver la gent masculine, et enfin soulager les femmes de leur charge mentale!

Ce ne serait pas le seul fait d’armes au compteur de ce septuagénaire devenu première fortune de Grande-Bretagne, et ayant vendu quelque 70 millions d’aspirateurs sur batteries depuis le lancement du premier modèle de ce type, en 2010. Après avoir dépoussiéré ce banal appareil, le Géo Trouvetou britannique n’a en effet cessé de réinventer notre quotidien, en s’intéressant successivement au sèche-mains, au ventilateur ou au sèche-cheveux. «Je n'ai jamais été attiré par les secteurs glamour, je m’intéresse aux produits ennuyeux pour les rendre plus attractifs à utiliser», explique James Dyson à Capital.

En apparence décousu, le développement de sa société suit tout de même un fil rouge: celui de l’air, qu’il soit aspiré ou propulsé. C’est ainsi que sa prochaine nouveauté, un casque audio à réduction de bruit active annoncé pour l’été prochain, sera équipée d’un système de double filtration, soufflant de l’air purifié près du nez et de la bouche de l’utilisateur. Mais si la marque, depuis le lancement de sa gamme de sèche-cheveux Airwrap, commence enfin à sortir du placard à balais pour être associée au secteur de la beauté, notamment en Corée du Sud et aux Etats-Unis, le gros de ses revenus provient toujours de ses aspirateurs. «Ce marché reste très important pour Dyson, c’est la plus grosse part de notre activité. Nous sommes toujours en croissance dans ce domaine, et développons de nouveaux produits», confirme le sémillant milliardaire.

En France, où l’entreprise réalise près de 400 millions d’euros de revenus, Dyson se classe même premier vendeur d’aspirateurs en termes de chiffre d’affaires. Son poids est tel que ses résultats, bons ou mauvais, peuvent orienter tout le marché à la hausse ou à la baisse. Fort heureusement, ceux-ci sont plutôt flatteurs puisque, trente ans après la création de l’entreprise, le chiffre d’affaires avait atteint en 2021 un nouveau record, à 6,7 milliards d’euros. Pour une marge digne de celles du luxe: alors que les revenus n’avaient progressé que de 5% cette année-là, les bénéfices avaient grimpé trois fois plus vite, à 1,5 milliard de livres sterling. «Dyson est l’Hermès de l’électroménager», résume même un observateur.

Son succès, c’est en premier lieu à l’inépuisable ingéniosité de son fondateur que la marque le doit. Selon le «Financial Times», Dyson est ainsi «le plus grand inventeur vivant de Grande-Bretagne». «Toutes proportions gardées, il me fait penser à Steve Jobs: un dirigeant passionné d’innovation, prenant le risque de lancer des concepts rupturistes, là où d’autres auraient tendance à se contenter d’évolutions d’ordre cosmétique», souligne Eric Shorjian, cofondateur du site d’information spécialisé Neomag. «Sa force, c’est son entêtement, il peut passer des années à construire un aspirateur dont personne ne veut, sans gagner un centime», complète Sylvain Bersinger, économiste chez Asterès et auteur de la série d’ouvrages Les Entrepreneurs de légende (Enrick B. Editions).

James Dyson répète ainsi à l’envi que, de toute sa carrière, il n’a retenu qu’un seul chiffre: 5127, soit le nombre de prototypes qu’il lui a fallu concevoir avant de parvenir à dompter la poussière de nos salons. Comme le rappelle un compagnon de la première heure, l’ancien directeur général France Pierre Loustric, l’ingénieur ne suit qu’un leitmotiv: «better and different». «On était comme une bande de frères, on attirait des passionnés, des gens qui croyaient à l’innovation, et on cultivait notre différence en tout. C’est une entreprise unique qui fonctionne un peu comme une secte, mais dans le bon sens du terme», se remémore celui qui a orchestré le lancement de la marque dans l’Hexagone.

Pour le fondateur, hors de question de perdre cette avance technologique: le groupe investit encore 15% de ses revenus en R&D, notamment dans ses laboratoires asiatiques, en Malaisie, aux Philippines et à Singapour. Sur les 12.000 salariés recensés dans le monde, la moitié sont d’ailleurs des ingénieurs. Et c’est toujours James, assisté de son fils aîné Jake, qui pilote le développement des nouveaux produits. Dans une ambiance plutôt bon enfant.

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