
Plantées sur un toit parisien, avec vue imprenable sur la Tour-Eiffel et au loin le Sacré-Cœur, une dizaine de tentes Quechua 2 Seconds semblent avoir trouvé un sommet à leur mesure pour fêter leur 20e anniversaire. Devenu un incontournable du camping, ce produit s’est imposé sur le marché par sa praticité nouvelle et étonnante. Son système de déploiement instantané en a conquis plus d’un ! «Planter une tente ça reste compliqué, le but était que les gens passent plus de temps à profiter d’être ensemble, ou de la nature, plutôt qu'à la monter», nous confie Abderrahman El Elaammari, prototypiste Decathlon à l’origine du projet.
Et ça marche! Depuis son lancement, la 2 Seconds s’est vendue à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, à travers 73 pays. Mais les 10 millions de campeurs qui ont bivouaqué sous sa toile, savent-ils que derrière ce best-seller se cache une idée qui a germé bien loin des laboratoires de recherche et développement de Decathlon?
Un abri en forme de chips et un stockage pour les bateaux : ces brevets oubliés qui ont inspiré la saga tente 2 Seconds
Tout commence en 2003, au cours d’une mission test Quechua. En randonnée avec les campeurs, Jean-François Ratel, le chef de produit camping, entend un client prononcer ces mots : «je rêve d’une tente, qui se monte toute seule». Et le voit mimer, comme un lancer de disque. C’est le déclic! Le jeune responsable convainc son équipe de transformer ce rêve en réalité. Il embarque un prototypiste (Abderrahman El Elaammari, alias Abi), un ingénieur (Benjamin Mettavant) et un designer (Vincent Sufolo). Au bout d’un an, beaucoup de pistes... Mais rien de concluant.

Alors, la jeune équipe se met en quête de brevets déposés qui pourraient les mettre sur une meilleure voie. «Les brevets, c'est une mine d'informations: avant d'inventer l'eau chaude, on regarde si d'autres l'ont fait et il y a toujours des gens bien plus malins que vous qui ont fait un bout du chemin», raconte Benjamin Mettavant. Le petit groupe tombe finalement sur un vieux brevet, celui d’une «tente auto-déployante». Déposé en juillet 1972, par un ingénieur américain inconnu, Jack V.Miller, celui-ci décrit un système de tension souple, permettant la mise en place instantanée d’un abri en forme de «chips». Les dessins parlent d’eux-mêmes (cf illustration ci-dessus). Considérée comme dangereuse et finalement interdite dans plusieurs pays, cette invention est tombée dans l’oubli, aussi vite qu’un campeur monte aujourd’hui sa tente Quechua.
Pas assez pour décourager notre trio d'inventeurs Decathlon, persuadés qu’il tient là de quoi faciliter le montage. Et l’histoire ne s’arrête pas là! Un autre brevet américain datant de 1991 (Michael K.Ivanovich et Richard D.Clark) a permis aux équipes de voir les dessins d’un modèle encore plus abouti, avec une circulation d’air pensée pour éviter l’étouffement de ses occupants (ouf !). Cette autre invention pouvait aussi servir d’abri de stockage (voiture, bateau…) et ressemble à s’y méprendre à la 2 Seconds que les campeurs d'aujourd'hui connaissent bien (cf illustration ci-dessous).

La tente, c'est un domaine dans lequel il existe une palanquée de nouveaux brevets chaque année. Effectivement, nous n'avons pas inventé le système pop-up, mais nous avons rendu cette idée habitable et campable, explique Benjamin Mettavant.
«Nous sommes partis d'une idée incomplète et avons travaillé la chimie de l'arceau pour la rendre compatible avec du tissu», décrypte celui qui a depuis monté sa propre entreprise de conception et industrialisation de produits, Blue Caravan. Les inventions de messieurs Miller et Richard D.Clark ont certes des formes qui ressemblent à la tente Quechua, mais le brevet déposé par Decathlon en 2004 protège une solution technique d'un autre ordre. «Les services de conception se sont inspirés des solutions déjà mises au point, mais le système de la tente 2 Seconds reste une innovation Decathlon», réaffirme d'ailleurs une porte-parole de l’enseigne.
Un démarrage poussif... puis une innovation en perpétuel renouvellement
Même avec ces inspirations bien trouvées, le démarrage est poussif. La première version déçoit. «On dirait que vous avez fait la moitié du travail» aurait même glissé un campeur, dont les mots ont marqué Benjamin Mettavant, lors d'une mission test. «C'était un produit de très mauvaise qualité, bien en deçà des standards d'une marque comme Quechua», se souvient-il. Finalement, après quelques douches froides, la «Flash», premier nom du projet, voit le jour en 2005. Vite adoptée, par les sportifs expérimentés autant que par les amateurs, elle saura trouver sa place.
Au point d'être à son tour une source d'inspiration... «Il y a eu beaucoup de copies, mais toutes ont été stoppées par le service juridique Decathlon: encore aujourd'hui, il n'est pas si simple d'arriver sur le marché», assure Benjamin Mettavant. D'autant plus que Decathlon a su faire évoluer cette révolution au service des campeurs. En vingt ans, les ingénieurs n’ont cessé d’améliorer la 2 Seconds, afin d’offrir une expérience idéale aux utilisateurs. Ils se plaignent qu’il fait trop chaud dans la tente? Quechua crée la gamme 2 Seconds Air (2006), et 2 Seconds Fresh (2012), intégrant une ventilation améliorée et des matériaux limitant la chaleur. Ils pestent contre la lumière qui les réveille le matin? La saga continue avec la gamme des tentes Black and Fresh (2016), qui isolent la chambre dans un noir quasi-complet.
Une chose est sûre: la tente 2 Seconds est devenu un incontournable, ayant équipé toute une génération de campeurs. Decathlon a réussi son pari fou: réinventer le concept et planter sa tente dans le paysage du camping.















