
Deux petites lignes de communiqué qui en disent long sur l’état des lieux. Hier soir, à quelques minutes du coup d’envoi du match de Ligue des Champions opposant Aston Villa au Paris Saint Germain (3-2), le président de la Ligue de football professionnel (LFP), Vincent Labrune, était dans les coursives du stade anglais avec tout l’état-major du club parisien, venu assister à la qualification de son équipe pour les demi-finales de la compétition. Mais vers 19h30, ses équipes envoyaient une missive électronique dans laquelle la filiale commerciale de la Ligue, LFP Media, prenait acte « de l'échec de la médiation initiée début mars 2025 (avec son diffuseur DAZN, NDLR). Le contrat liant les parties demeure en vigueur et LFP MEDIA attend de son partenaire qu'il exécute pleinement l'ensemble de ses obligations à ce titre ».
Depuis cet hiver, le torchon brûle en effet entre le nouveau diffuseur et la Ligue, les deux parties s’attaquant désormais devant les tribunaux pour tromperie sur la marchandise côté britannique, et pour non-respect du contrat côté LFP. Pour sortir de l'impasse, une médiation avait donc été lancée afin de trouver une issue si possible contractuelle, et responsable.
DAZN réclame en justice pas moins de 573 millions d'euros à LFP
Du côté des présidents de clubs, qui votent et valident la stratégie de la Ligue, on s’était plutôt entendu mardi soir pour arrêter dès cet été le contrat avec DAZN, alors qu’une clause de sortie réciproque n’est en théorie activable qu’en décembre prochain, et à la condition que le diffuseur ne dépasse pas le cap du 1,5 million d’abonnés (pour un chiffre actuellement estimé à 550 000, malgré de nombreuses opérations promotionnelles). Les présidents demandaient même que DAZN verse une indemnité de fin de contrat anticipée, estimée à 120 millions d’euros. Ce dédommagement serait venu en plus des deux prochaines échéances que le diffuseur est censé régler à la Ligue, les 30 avril et 30 juin prochains, pour un total de 140 millions d'euros. Une proposition balayée d’un revers de main par DAZN qui réclame en justice pas moins de 573 millions d'euros "pour manquement observé" et "tromperie sur la marchandise". DAZN, qui s’est lancé dans une âpre bataille juridique, pourrait comme elle l’avait fait cet hiver mettre sous séquestre l’argent qu’elle doit, en attendant une décision du tribunal sur le fond. Une mauvaise nouvelle pour les clubs de Ligue 1, qui ont urgemment besoin de cet argent, pour boucler la saison et préparer la suite.
D’autant qu'aucune de ces structures ne sait justement à quelle sauce financière elle va être mangée. Sans l’argent de DAZN (un peu moins de 400 millions d’euros cette année), qui devrait finir l’année avec une perte sèche estimée autour de 200 millions d’euros faute d’abonnés suffisants, il ne reste en effet plus que BeIN sports à bord, pour un peu moins de 100 millions d’euros en cash et en échange publicitaire, en contrepartie de la diffusion de la seule journée de championnat, la dernière, que DAZN n’a pas dans son contrat. Dès lors, c’est le scénario du pire qui se dessine pour les clubs, qui voient le produit Ligue 1 se dévaluer mois après mois. Alors qu'il y a deux ans, la LFP tablait sur un potentiel de droits TV proche du milliard d’euros, elle se retrouve aujourd’hui avec un produit estimé autour de 300 millions d’euros, des contentieux de toute part avec ses diffuseurs, et des clubs en asphyxie totale.
La Ligue doit étudier le lancement de sa propre chaîne Ligue 1
Pour relever la tête, la LFP, dont les bureaux cossus du 17e arrondissement de Paris accueilleront dans quelques jours un nouveau directeur général, en la personne de l'ex boss de M6 et des Girondins de Bordeaux Nicolas de Tavernost, pourrait tenter de faire tapis. L’été dernier, au moment de choisir l’option DAZN, une poignée de présidents de clubs (dont Joseph Oughourlian de Lens et John Textor de Lyon) poussaient pour que la Ligue lance sa propre chaîne.
Double problème : il faut pouvoir avancer environ 50 millions d’euros pour financer les coûts de production, et il n’y a alors pas de possibilité de garantir un minimum de revenus pour les clubs. Dans ces conditions, difficile pour ces derniers de bâtir un budget prévisionnel. Mais l’avantage de maîtriser tous les process, à la fois de commercialisation et éditoriaux, pourrait pousser certains présidents récalcitrants à revoir leur position. C’est la tendance du moment.
Pour s’en sortir, la LFP pourrait aussi retourner voir Warner Bros Discovery, la maison mère d’Eurosport, qui avait proposé à la LFP de s’associer avec elle pour diffuser ses matchs sur Max, sa plateforme qui propose essentiellement des sports d’hiver, du tennis et du cyclisme, en plus d’un catalogue de films et de séries. Pas de contrainte de gestion de plateforme, une commercialisation commune avec Discovery : la LFP ponctionnerait alors une quote-part pour chaque abonnement à cette chaîne. Seulement, la base d’abonnés MAX (non communiquée) pourrait être là encore limitée. Selon un sondage NPA Conseil / Harris interactive réalisé peu de temps après la commercialisation de MAX en France (juin 2024), seulement 20% de la population interrogée se déclarait intéressée par cette nouvelle plateforme.
Nicolas de Tavernost (ex-M6) attendu comme le messie
Dès lors, tous les regards se tournent une nouvelle fois vers Canal+ (dont l’actionnaire majoritaire est le groupe Bolloré, comme dans le cas de Prisma Média, éditeur de Capital), le diffuseur historique du foot français. La chaîne, qui cumule les bonnes audiences grâce à la Ligue des Champions en semaine, a construit une grille de week-end solide sans la Ligue 1, en pariant sur les sports mécaniques, le football anglais et le rugby. Ses dirigeants ne semblent pas prêts à revenir vers la Ligue 1, mais avec leur plateforme maison, MyCanal, ils pourraient très bien accueillir la future chaîne Ligue 1, y compris si elle était intégrée chez MAX. Ce rôle d’agrégateur de contenus va très bien à Canal+, qui pourrait de la sorte proposer la Ligue 1 à ses abonnés, sans débourser le moindre euro auprès de la LFP. Il faut dire que la chaîne est toujours en contentieux avec l'organisation sportive, suite à l'octroi de la majorité des matchs de Ligue 1 à Amazon Prime lors du précédent cycle de droits TV pour un prix bien inférieur à celui réglé par Canal + pour son lot de l'époque.
Les clubs espèrent désormais que Nicolas de Tavernost (toujours conseiller spécial du groupe CMA CGM Media pour le moment), puisse parvenir à trouver un tel débouché, et créer cette chaîne Ligue 1. Son expérience indéniable dans le monde de la TV, couplée à ses bonnes relations avec le boss de Canal, Maxime Saada, pourraient y aider. Il faudra aussi retrouver la confiance des fans de foot, et convaincre les téléspectateurs de payer (entre 15 et 20 euros par mois probablement) pour une offre légale de foot, alors que le piratage a fait des ravages cette saison. Le chantier de l’après DAZN est énorme, alors que le divorce n’est même pas prononcé.



















