Carlos Tavares sort du silence. Dans un entretien exclusif accordé au magazine Le Point et publié ce jeudi 16 octobre, à l’occasion de la sortie de son livre Un pilote dans la tempête (Plon) le 23 octobre, l’ancien patron de Stellantis revient pour la première fois en détail sur les raisons de son départ précipité fin 2024. Il dévoile les tensions internes liées à la stratégie sur la voiture électrique, les désaccords avec le conseil d’administration et son point de vue sur l’avenir de l’industrie automobile face aux défis climatiques et géopolitiques.

Selon lui, Stellantis se trouvait à un tournant crucial : «Il fallait prendre une décision : soit freiner sur la production de voitures électriques comme tous les constructeurs pleurnicheurs expliquant qu'ils n'y arriveraient pas, soit profiter de leur coup de frein pour accélérer et prendre la tête de la course à l'électrique. Nous avions choisi la deuxième option via un plan stratégique validé», explique l’ex-patron. Pourtant, un désaccord est apparu au sein du conseil d’administration, certains souhaitant «temporiser».

«Contraire à l'intérêt de mes petits-enfants»

Un soir de décembre, alors qu’il se trouvait sur le circuit d’Estoril au Portugal, il a reçu un appel de John Elkann, président de Stellantis, lui annonçant une perte de confiance à son égard. «La confiance est réciproque», rétorque-t-il, estimant que son rôle était d’exécuter un plan validé, pas de ralentir. Pour lui, cette décision de temporiser allait à l’encontre des intérêts des générations futures : «C'est contraire à l'intérêt de mes petits-enfants car le fusible, c'est la planète. Qui se soucie aujourd'hui du réchauffement climatique ? Moi, quand il fait 46 °C l'été au Portugal et que des incendies ravagent 220 000 ha. J'ai donc dit à Elkann qu'il valait mieux nous séparer. L'accord a été négocié en quarante-huit heures et mon départ a été annoncé à la fin du week-end», raconte Carlos Tavares.

Interrogé sur sa part de responsabilité, l’ancien dirigeant ne nie rien. «La responsabilité, je l'ai à 100%. J'ai été le patron de la boîte, pour le meilleur et pour le pire. Il est évident qu'il y a des choses que je n'ai pas réussies. J'espère simplement avoir pris 80% du temps de bonnes décisions. Mais je n'entrerai pas dans le jeu de l'autoflagellation», confie-t-il.

Carlos Tavares pointe aussi des failles plus larges au sein de l’industrie automobile, qui est, selon lui, «d'une extrême violence». «Elle est en train de perdre le contrôle de son destin en raison de facteurs externes tels que les tarifs douaniers, les réglementations, les enjeux géopolitiques… Or tous les patrons - et je m'y inclus - ont de gros ego (…)Mais quel plaisir y a-t-il à être le passager de son propre bateau en attendant qu'une vague vous fasse couler ?», alerte-t-il.

Pour lui, cette crise annoncée pousse de nombreux talents à quitter l’industrie, ce qui conduira à une «consolidation brutale et féroce des constructeurs». La voiture, autrefois objet d’innovation, deviendrait alors un simple produit de consommation, «comme un réfrigérateur».