
Alstom pour la signalisation du métro de Taichung, Air Liquide pour les gaz de haute pureté indispensables à la fabrication des microprocesseurs, Decathlon pour les équipements sportifs dans une vingtaine de magasins, ou encore CMA-CGM pour opérer un terminal de conteneurs au sein du port de Kaohsiung : jusqu’ici, Taïwan a fait figure d’un joli filon pour les exportateurs français. Et l’an passé n’a pas fait exception, puisque les ventes tricolores à destination du pays, tirées par les livraisons d’Airbus, ont bondi de 13,8%.
Mais les quelque 200 entreprises françaises installées sur place – employant près de 25 000 personnes – ne le savent que trop bien elles sont assises sur un volcan. Ou plus précisément installées dans une zone géopolitiquement explosive. «Les Chinois des deux côtés du détroit de Taïwan sont une seule famille. Personne ne peut rompre nos liens de sang et personne ne peut arrêter la tendance historique de la réunification de la mère patrie», martelait encore, le 31 décembre dernier, le président chinois Xi Jinping.
Des conséquences gravissimes pour l'économie mondiale si la Chine envahissait Taïwan
Depuis sa création en 1949, la République de Chine – un Etat insulaire que la France ne reconnaît officiellement pas et qu’il ne faut pas confondre avec la République populaire de Chine, autrement dit l’empire du Milieu – subit une pression militaire croissante de son voisin. En avril, l’archipel a même été encerclé par 21 navires de guerre envoyés par Pékin pour simuler un blocus.
Et si le pire devait arriver ? Inutile de dire que les conséquences seraient cataclysmiques pour l’économie mondiale. A la paralysie du transport maritime s’ajouterait sans doute le plongeon des places boursières. Le pays concentre en effet 75,2% du marché mondial des fonderies de semi-conducteurs, ces composants de notre quotidien. Smartphones, téléviseurs, électroménager, voitures et même avions : tous ces équipements dépendent de la production locale, et plus précisément du champion TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Company).
Au niveau de l’électronique, on reviendrait à l’âge de pierre
Le géant produit à lui seul 92% des puces les plus avancées au monde, celles qui sont destinées aux circuits intégrés inférieurs à 10 nanomètres. En cas d’invasion, le problème ne viendrait même pas d’un éventuel blocus : le fondeur a promis de saboter son matériel pour ne pas le laisser aux Chinois. Des centaines de milliards de dollars partiraient alors en fumée.
«Si demain la Chine envahit Taïwan, au niveau de l’électronique, on revient à l’âge de pierre», résume Olivier Wajnsztok, directeur associé d’AgileBuyer, un cabinet de conseil en achats. Comme les autres nations, la France serait durement frappée : selon les douanes, les composants et cartes électroniques ont représenté, de juin 2024 à mai 2025, plus de 25% de nos importations venues de l’île. «Et si on prend en compte plus globalement les produits électriques et électroniques, ce sont les trois quarts de ces flux qui sont concernés», précise Sophie Wieviorka, économiste Asie au Crédit agricole.
Les entreprises françaises anticipent les conséquences d'une invasion
Prévoyantes, plusieurs entreprises tricolores ont voulu anticiper ce scénario catastrophe. Selon une étude d’AgileBuyer menée en 2023 auprès de 900 d’entre elles, 26% des directions d’achat ont prévu un plan spécifique en cas d’invasion de Taïwan. «Pour les puces les plus difficiles à substituer, les entreprises ont constitué des stocks, précise Olivier Wajnsztok. C’est notamment possible dans le cas d’Airbus, car ses modèles d’avions restent les mêmes pendant plusieurs années, ce qui évite aux puces de devenir obsolètes.»
Marqués par la pénurie de composants de 2022, au redémarrage de l’économie après le Covid, les industriels français ont par ailleurs décidé de réduire leur dépendance vis-à-vis de leur fournisseur asiatique. Stellantis a par exemple annoncé dès 2023 diversifier ses achats auprès d’Infineon (Allemagne), NXP Semiconductors (Pays-Bas), ON Semiconductor (Etats-Unis) et Qualcomm (Etats-Unis).
De son côté, Thales a noué un partenariat avec Foxconn (encore un taïwanais…) pour créer à terme une usine de semi-conducteurs en France. «L’activité de ce site concernerait l’aval de la chaîne de production, à savoir le test et l’assemblage, indique Rabindra Rengaradjalou, expert en semi-conducteurs auprès du Crédit agricole. Les puces, elles, seront produites pour partie en Europe, et sans doute majoritairement à Taïwan…» Difficile donc de se sevrer totalement, quel que soit le secteur. «Concernant l’automobile, les composants les plus avancés n’équipent pas pour l’instant les véhicules fabriqués par Stellantis ou Renault, analyse Jean-Christophe Eloy, président de Yole Group, un cabinet spécialisé dans les semi-conducteurs. Mais on y viendra dans cinq ou sept ans.» Soit des puces dont TSMC a le quasi-monopole pour l’instant…
Taïwan est aussi un investisseur de poids en France
Mais la relation entre la France et l’île ne se limite pas qu’à ces précieux composants. Taïwan est aussi un investisseur de poids dans l’Hexagone, en particulier depuis que le fabricant de batteries ProLogium a annoncé la création d’une usine dans les Hauts-de-France. D’un montant cumulé de 5,2 milliards d’euros d’ici à 2030, il s’agit du plus gros investissement taïwanais en France. Inutile de dire qu’une invasion de l’île mettrait ce projet en péril, malgré 1,5 milliard d’euros de subventions versés par l’Etat français.
En attendant, les moins paniqués restent les expatriés français sur l’île. Même si leurs employeurs ont prévu un plan d’urgence en cas d’invasion, ils restent persuadés que la paix prévaudra. «Les menaces chinoises existent depuis de nombreuses années, et les Taïwanais font preuve d’une grande résilience, explique un conseiller au commerce extérieur de la France à Taïwan. Pour nous, c’est "business as usual".»
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