
Oligarques russes : la traque de leurs villas de luxe se poursuit
Villas en bord de mer, chalets à la montagne, appartements de luxe parisiens, yachts ou jets privés et on en passe… Voilà trois ans que les autorités françaises traquent le patrimoine des nababs proches du Kremlin. Constituée d’agents du fisc, de douaniers et d’enquêteurs de Tracfin, une cellule spéciale de plusieurs dizaines de limiers avait été lancée par Bercy pour pister les richesses des obligés de Poutine. Elle aurait depuis immobilisé plus de 20 milliards d’euros d’avoirs bancaires, ainsi qu’une soixantaine de biens immobiliers valorisés 700 à 800 millions d’euros.
Attention : il ne s’agit pas de les confisquer, même si les députés ont symboliquement voté, le 12 mars, une résolution en ce sens. Car Emmanuel Macron prévoit d’en faire une monnaie d’échange, lors de futures négociations de paix avec Vladimir Poutine. En revanche, l’Etat prélève des intérêts sur les comptes bloqués. En mars, le ministre des armées Sébastien Lecornu a annoncé qu’il comptait s’en servir pour acheter 195 millions d’euros de munitions, surtout des obus et des bombes planantes, et équiper les avions Mirage 2000 livrés à Volodymyr Zelensky.
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Les amis de Poutine se camouflent derrière des sociétés écrans
En attendant, les oligarques sanctionnés ne peuvent ni louer, ni vendre, ni même hypothéquer ces biens. Et restent redevables des factures d’entretien de ces domaines et de leurs jardins, des frais de gardiennage, ainsi que de la taxe foncière. Bercy autorise le déblocage exceptionnel de leurs comptes bancaires pour payer les prestataires. S’il s’agit d’un yacht, celui-ci ne peut pas quitter nos eaux territoriales. C’est ainsi que l’«Amore Vero», est bloqué depuis plus de trois ans à La Ciotat, près de Marseille. Estimé à 120 millions d’euros, ce bateau de 86 mètres appartient à Igor Setchine, PDG du pétrolier Rosneft.
Même si le butin peut sembler important, les ONG soulignent qu’il n’y a pas de quoi se vanter. «Les biens gelés en France ne représentent qu’une petite minorité des actifs détenus par les oligarques russes sur notre territoire», déplore Sara Brimbeuf, spécialiste du dossier chez Transparency International. La traque est délicate, car les amis de Poutine se camouflent derrière des sociétés écrans, enregistrées dans des paradis fiscaux et souvent détenues officiellement par des proches exempts de poursuites. De l’aveu même de Bercy, plus de 90% des biens seraient attribués à des prête-noms.
Exemple avec Timur Ivanov : dès le début de la guerre, ce ministre adjoint de la Défense avait transféré une bonne partie de sa fortune en France, au nom de sa femme, Svetlana Ivanova, dont il a ensuite divorcé, peu après l’invasion. Grâce à son passeport israélien, l’ex-épouse a pu faire fi des restrictions de déplacement imposées aux ressortissants russes, pour profiter de leur luxueux appartement du VIIe arrondissement parisien, et fréquenter Saint-Trop’ ou Courchevel. Elle n’a plus qu’à attendre la libération de son ex-mari, arrêté l’an dernier en Russie pour corruption.
Pour certains de ces milliardaires, il était toutefois presque impossible d’escamoter de tels joyaux, tant les noubas qu’ils y avaient organisées avaient fait les gros titres de la presse. A l’image d’Andreï Melnichenko, qui avait transféré, début mars 2022, ses participations dans Suek et Eurochem, géants respectifs du charbon et de l’engrais, à son épouse Aleksandra, ex-mannequin et chanteuse pop. Cela n’a pas empêché Bercy de geler leur superbe villa Altaïr du cap d’Antibes, où le couple avait célébré il y a vingt ans son mariage à plus de 3 millions d’euros en présence, entre autres VIP, de Whitney Houston.
Le Gatsy russe au coeur d'une enquête pour blanchiment
Deux de leurs voisins du cap d’Antibes, Roman Abramovitch et Souleyman Kerimov, n’ont pas non plus échappé aux sanctions. Abramovitch, l’un des plus célèbres copains de Poutine, avait déjà dû composer avec le blocage, dans une banque anglaise, des 2,5 milliards d’euros issus de la vente du Chelsea FC, son ex-club de foot. Depuis, Bercy a gelé une dizaine de ses propriétés françaises, dont le château de la Croë, au cap d’Antibes. Pour Kerimov, qui doit sa fortune aux mines d’or exploitées par Polyus Gold, c’est encore plus embêtant. Le Gatsby russe, comme on l’appelle, est au cœur d’une enquête pour blanchiment qui vise plusieurs de ses «masures» sur la riviera.
Maria Irina, l’ex-villa de Mobutu située à Roquebrune-Cap-Martin, est aussi dans le viseur. Officiellement, elle appartient au magnat de l’immobilier russo-arménien Samvel Karapetyan, mais le parquet de Paris soupçonne aussi une opération de blanchiment au profit de Gazprom, le géant gazier russe. La demeure pourrait-elle être saisie, puis revendue au bénéfice de l’Etat, comme le fut récemment le château de la Garoupe ? Cet autre domaine de prestige du cap d’Antibes avait été confisqué en 2015 à Boris Berezovski, un homme d’affaires russe condamné pour blanchiment. Le château, estimé à 125 millions d’euros, a récemment été bradé à 65 millions d’euros à Jan Koum, l’un des cofondateurs de la messagerie américaine WhatsApp, par l’Agence de gestion et recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Un coup bas des Yankees ? Pas du tout, figurez-vous que Koum est né à Kiev, capitale de l’Ukraine…
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