Entre Jean-Pierre Farandou (67 ans) et la retraite, c’est déjà une longue histoire. Le PDG sortant de la SNCF, atteint par la limite d’âge à la tête de la maison ferroviaire, assurait depuis plus d’un an, enjambant les JO de Paris 2024, un intérim aussi long qu’un trajet en train entre Paris et Rodez (comptez 7 h 30 tout de même !), la première gare dont il a eu la responsabilité à l’âge de 26 ans en rentrant à la SNCF. C’est dans l’Aveyron qu’il a découvert « un métier qui m’a tout de suite plu », explique celui qui n’a cessé durant son mandat de défendre le dialogue avec les cheminots, dont il affirme « parler la même langue ».

Cet ancrage local, cette proximité avec le terrain, c’est en effet son atout maître quand il débarque à la présidence de la SNCF en novembre 2019, héritant de la lourde tâche de mettre en œuvre la réforme ferroviaire de 2018. Son principe : transformer l’entreprise publique en société anonyme pour préparer l’ouverture à la concurrence, avec comme cap la reprise de la dette qui pèse sur la SNCF (plus de 30 milliards d’euros à l’époque) en échange de la fin du recrutement au statut de cheminot.

La "surprise" pour cette nomination

C’est donc un infatigable négociateur, pilote de la SNCF et de ses 140 000 cheminots jusqu'à l'arrivée prochaine de Jean Castex, qui a été « nommé avec surprise », comme le reconnaît un de ses proches collaborateurs, au poste de ministre du Travail et des Solidarités dans le second gouvernement de Sébastien Lecornu. Charge à lui de prendre vite langue avec les organisations syndicales alors que la réforme des retraites constitue toujours un point de blocage social, comme l'ont montré les récentes grèves de la rentrée.

Son arrivée rue de Grenelle est toutefois une bonne nouvelle pour les syndicats réformistes. Et notamment la CFDT: sa patronne, Marilyse Léon, a pris soin ce matin de saluer un tel profil. "Pour le moment, c'est plutôt un bon signal. On avait un très bon dialogue avec lui quand il était à la SNCF, il avait négocié, notamment avec la CFDT, un accord sur la pénibilité il y a quelques mois", a-t-elle lâché sur TF1.

Il faut dire aussi que le bilan de Jean-Pierre Farandou à la SNCF est plutôt flatteur, d'autant que son mandat a correspondu, en partie, à la pandémie de Covid, qui avait grandement chahuté l’entreprise publique. Trafic à l’arrêt, trains sanitaires, pertes abyssales… malgré la tempête, la SNCF a très vite retrouvé des couleurs et même renoué avec des bénéfices record, soit plus de 5 milliards d'euros cumulés en 3 ans, dont 1,6 milliard d’euros rien qu'en 2024. De quoi financer une partie de la régénération du réseau ferré qui en a bien besoin.

Brouille avec l'exécutif sur un accord de fin de carrière

Les trains (TGV et Ouigo surtout) se remplissent à vue d’œil et, grâce au yield management, cette technique commerciale dont Jean-Pierre Farandou a pu savourer les effets sur le chiffre d’affaires, les recettes de la SNCF ne cessent de grimper. La compagnie doit pourtant composer avec un parc TGV limité, ce qui freine le nombre de places disponibles, tout en renchérissant leur prix. Et comme ce patron est plutôt un adepte de la redistribution, il n'a pas hésité à desserrer les cordons de la bourse en matière salariale. Durant les 3 années inflationnistes (2021-2024), la direction de la SNCF a donc lâché des augmentations importantes : +17% en moyenne pour les cheminots.

Enfin, comme ce fan de rugby a tendance à avancer dans son couloir, il n’aime pas trop se faire percuter à retardement. En 2024, pour s’éviter un énième mouvement social à la veille des JO de Paris 2024, lui qui était déjà à ce moment officiellement partant, a signé un accord sur la fin de carrière des cheminots. Les conditions très favorables de départ négociées dans le texte avaient provoqué la colère du gouvernement et du ministre de l’Économie de l’époque, Bruno Le Maire, qui l'avait convoqué manu militari à Bercy. Accusé de détricoter la fameuse réforme des retraites, Jean-Pierre Farandou était alors resté droit dans ses bottes, et avait assumé sa gestion de l'entreprise. Même si cela a pu être très mal perçu par l'exécutif, qui aura tout fait ensuite pour qu'il ne continue pas à la tête de la SNCF, alors que le Bordelais se voyait bien rempiler, à un poste de présidence non exécutive. Qu'à cela ne tienne, il n'aura pas à attendre très longtemps pour montrer son sens du dialogue social et sa vision des choses. Son match retour commence dès demain, autour de la table du Conseil des ministres, à l'Elysée.