Votre collagène, vous l’appréciez en gélules, façon médicament, sous forme de gummies, comme un bonbon, ou bien encore en boisson pétillante, à la manière d’un soda ? A moins que, comme c’est le plus courant, vous ne le préfériez sous forme de poudre à diluer, avec cette fois le choix entre un goût neutre ou aux arômes de cacao, ou encore d’agrumes ou de matcha ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’avec le collagène, dont les déclinaisons se multiplient en pharmacie comme sur le Web, il y en a vraiment pour tous les goûts…
Ainsi que pour toutes les bourses, puisqu’il est possible de trouver, depuis l’été dernier, des flacons de 60 gélules à seulement 2,95 euros, dans des réseaux discount comme Action. Même si, en version plus fortement dosée, la cure d’un mois dépasse le plus souvent les 50 euros. Mais cette dépense est-elle si excessive, puisqu’il s’agit pêle-mêle, selon les promoteurs de la substance, de profiter de ses bienfaits pour la peau, les cheveux et les ongles, sans oublier les articulations ?
Le marché du collagène explose en France
Parmi les figures qui ont contribué à ce décollage du collagène en France depuis trois ans, il faut citer Jennifer Aniston. L’actrice est en effet à la fois égérie publicitaire et directrice de création de Vital Proteins, une marque née en 2013 aux Etats-Unis. Désormais dans le giron du groupe Nestlé, le label s’est lancé avec succès dans l’Hexagone en 2021, pile lorsque les produits du même type commençaient à débarquer. «C’est un effet du démarchage réalisé par les fournisseurs de matières premières auprès des fabricants de compléments alimentaires», confie un professionnel.
Ces spécialistes des petites gélules ne sont en effet pas en reste en pharmacies et parapharmacies, leur terrain de jeu, les ventes de collagène ont doublé en 2023 (+102%). Et le cap du million de produits commercialisés par an est franchi, selon le Synadiet, le Syndicat national des compléments alimentaires. Mais le succès est aussi porté par de belles mises en scène sur les réseaux sociaux : «Latte au collagène, smoothies au collagène… Ces jolies boissons avivent la désirabilité du produit», estime Mathilde Lacombe, cofondatrice d’Aime, une des marques du créneau nées dans l’univers digital.
Pour les fabricants, cet engouement n’est pas qu’un effet de mode : «L’explosion en France est en fait un simple rattrapage dû à l’élargissement de l’offre. Dans le reste du monde, le collagène n’a rien de nouveau. Le marché était déjà énorme aux Etats-Unis, en Asie et même en Europe du Sud», analyse Thierry Verne, PDG d’Olyos Group (ex-EA Pharma), qui se revendique numéro 1 du collagène en pharmacie sous sa marque Granions Laboratoire.
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Les scientifiques encore septiques sur les effets positifs du collagène vendu
Mais si cette substance issue de poisson (collagène marin), de bœuf ou encore de coquille d’œuf a démontré son efficacité à doper le chiffre d’affaires de ses promoteurs, elle doit encore faire ses preuves en matière de santé. Elle promet en effet beaucoup : principale protéine élaborée par notre organisme, le collagène participe à la bonne santé et à la bonne tenue de la peau, des cartilages, des tendons, des muscles… Or, sa production diminue dès l’âge de 25 ans. Quelques cuillerées ingurgitées chaque jour, et le tour serait donc joué. «L’idée est attrayante. Manger du collagène suffirait pour le restaurer dans l’organisme… s’il n’y avait pas l’estomac et l’intestin entre les deux !», ironise Francis Berenbaum, professeur à Sorbonne Université et chef du service de rhumatologie de l’hôpital Saint-Antoine AP-HP à Paris. En effet, le collagène est fragmenté en acides aminés au cours de la digestion : «L’organisme les utilise pour reconstruire de nouvelles protéines, mais pas forcément des protéines de collagène !»
Pour parer à ces critiques, fabricants et fournisseurs multiplient les études cliniques. Mais celles-ci restent fragiles. Ainsi des effets attendus sur les articulations : «La méthodologie n’est pas suffisamment robuste pour prouver l’efficacité de la prise par voie orale», souligne le professeur Berenbaum. D’ailleurs, les autorités européennes n’ont validé aucune allégation spécifique au collagène – s’agissant de bienfaits pour la santé, seules les promesses figurant sur une liste officielle sont autorisées.
Une ruse permet toutefois aux fabricants d’afficher des allégations santé sur leurs compléments à base de collagène, en toute légalité : il leur suffit d’intégrer d’autres actifs dont l’efficacité pour les articulations est, contrairement à celle du collagène, reconnue. Plusieurs marques ont ainsi recours à des extraits de bambou ou d’harpagophytum, deux plantes donnant droit à l’utilisation d’allégations comme «Aide à maintenir la flexibilité des articulations» ou «Favorise le confort articulaire». Une lecture attentive des emballages permet de découvrir que de telles mentions ne se réfèrent pas au collagène.
Des effets esthétiques visibles ?
Et pour les prétendus effets esthétiques de cette substance ? Comme ce type de promesses ne relève pas de la santé, mais de la beauté, les fabricants disposent de davantage de liberté pour formuler leurs slogans, en s’appuyant sur leurs propres preuves d’efficacité. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas, jusqu’à faire miroiter, parfois, une réduction des rides : «-24%», annonce l’un, «-35%», assure un autre ! «Certaines études, réalisées à l’aveugle, montrent bien une amélioration de l’hydratation et de la fermeté de la peau», admet la docteure Martine Baspeyras, qui préside le groupe dermatologie esthétique et correctrice de la Société française de dermatologie. Avant de tempérer : «Il ne faut pas en attendre un effet extraordinaire. C’est un petit plus, à condition de faire une cure de trois mois, mais pas une baguette magique.»
Attention aux "surpromesses" des vendeurs sur les réseaux sociaux
Le problème, c’est que, si les vendeurs de collagène, surveillés de près par les autorités, restent mesurés sur leurs emballages de produits, ils se lâchent davantage sur les réseaux sociaux. Des chercheurs de l'université Northwestern à Chicago ont ainsi analysé les publications des marques sur YouTube et Instagram. Les allégations dermatologiques qui y figurent «dépassent toutes les preuves étayées par la littérature (scientifique)», concluent-ils dans leur étude dévoilée en février 2022 dans le Journal of Cosmetic Dermatology. «Certaines marques débarquent sur Instagram ou TikTok en utilisant des mots ou des allégations que nous nous interdisons depuis des années pour respecter la réglementation», confirme Frédéric Lévy, directeur général de Biocyte, dont les compléments au collagène sont proposés en pharmacie depuis plus de dix ans.
Il s’inquiète : «Les "surpromesses" pourraient décrédibiliser cette molécule, qui est extraordinaire.» En novembre dernier, au Royaume-Uni, la marque Kollo Health a par exemple reçu un rappel à l’ordre de la part de l’Advertising Standards Authority (ASA) pour une publicité sur Facebook vantant du collagène liquide, aux slogans jugés trompeurs. Ce n’est pas la première fois que le régulateur britannique de la publicité épinglait publiquement un vendeur de collagène. En France, rien de tel. Du moins pour le moment…
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