Aïe, votre solde de points sur votre permis de conduire fond comme neige au soleil. Et vous savez que lorsque vous perdez un point, vous devez attendre au minimum six mois, pour les infractions les moins graves, avant de le récupérer automatiquement. Et seulement si vous ne commettez aucun manquement à la loi entre-temps. Bref, pour vous sortir de ce bourbier et sauver votre permis de conduire, le stage de récupération de points, même à 250 euros, peut être la solution. Sauf que vous avez une chance sur quatre de voir la session choisie purement et simplement annulée… Un phénomène passé sous silence, et (enfin) démontré dans une étude exclusive IFOP, mandatée par le Syndicat national des acteurs de la Sécurité routière (SNASR) et que Capital vous révèle. Cette enquête a été menée auprès de 2 414 stagiaires inscrits sur la plateforme centralisée de référence Permis à Point, à l’aide d’un fichier fourni par le SNASR de 64 000 personnes. Alors que 360 000 conducteurs ont suivi un stage de récupération de points, un quart des sondés (25%) ont vu leur session annulée et ont dû s'inscrire à une autre, souvent plus loin ou plus chère. Parmi ces personnes désabusées, 23% ont subi une annulation de leur stage à plusieurs reprises, soit deux fois ou plus, dont 5 % à trois reprises et même 1 % quatre fois ou plus. Selon le SNASR, ces chiffres jamais documentés jusqu’alors témoignent d’un dysfonctionnement structurel, et ne relèvent aucunement de simples incidents isolés, ou ponctuels. Le coup de grâce ? 65% des stagiaires ont été prévenus moins d’une semaine avant le stage, dont 27% à moins de 3 jours et 8% à moins de 24 heures…

Annuler plus de 30% des stages de récupération de points est interdit

Autant de pratiques que la réglementation interdit pourtant, et qui ne semblent pas être vraiment sanctionnées. L’organisation de telles sessions est en effet strictement encadrée par les préfectures et le gouvernement. Ainsi, annuler plus de 30% des stages est interdit, et au-delà de ce taux, le préfet est en droit de retirer l’agrément de l’organisateur. L’interdiction vaut aussi pour une annulation dans les 7 jours précédant la date prévue. Mais dans les faits, certains centres (on compte plus de 1 000 agréments en France) jouent la carte de la rentabilité à outrance : ils programment massivement… pour mieux annuler ensuite. Il faut dire que la réglementation oblige les centres à déclarer au préalable les créneaux de stage ouverts à la réservation, sans savoir donc si un quota minimum de candidats pourra s’inscrire. Stratégiques, les annulations que ces organisateurs décident, parfois jusqu’à 40 à 50% des stages pour certains, leur permettent donc de concentrer les participants sur les créneaux les plus remplis, et les plus rentables.

Romain Léger, président du SNASR, illustre plus précisément le mécanisme : il suffit à un centre de planifier plusieurs sessions de stage à Paris, et d’autres à Neuilly-sur-Seine, à Boulogne-Billancourt et à Argenteuil. Et si deux ou trois d’entre elles ne sont pas remplies, il suffira de les annuler pour saturer les autres restantes. Le respect de l’usager est mort, qui va faire des kilomètres en plus et changer ses jours de congés. «C’est de la magouille qui concerne une minorité d’acteurs, mais qui inondent le marché au-delà des besoins. Et pénaliser de la sorte les plus fragiles, en attente de sauver leur permis de conduire», explique-t-il. Selon lui, le point mort de la rentabilité d’un stage se cale aux alentours de 12 à 14 participants, «à moins de 10, on perd de l’argent, sachant qu’il y a des dépenses liées à la location d’une salle adéquate, à la rémunération de deux intervenants, au commissionnement pour l’inscription indirecte via des portails, etc.» Le président du syndicat affirme que de son côté, le taux d’annulation n’excède pas 2%, et qu’il maintient les stages même s’il n’y a que 7 ou 8 participants.

Une source de stress supplémentaire au sujet du permis de conduire

Les conséquences de ces annulations abusives sont lourdes pour les automobilistes : environ 69% des stagiaires affectés évoquent un préjudice. Qu’il soit professionnel, puisque 33% indiquent des difficultés d’organisation au travail. Ou alors personnel, 21% déclarant avoir subi la perte de jours de congés. Ou bien financier, 20% ayant rallongé la facture pour accepter un autre stage plus loin de chez eux. Ou encore juridique, puisque 16 % d’entre eux disent avoir risqué de perdre leur permis. En gros, ces annulations ont suffi à créer une source de stress supplémentaire au sujet du droit à la conduite pour 40% des sondés.

«Ce phénomène n’est pas nouveau mais c’est la toute première fois qu’il est étudié de manière sérieuse. Et je ne comprends pas pourquoi l'administration ferme les yeux et que personne ne soit réprimandé. Pourtant un bilan complet doit être envoyé en fin d’année par tous les acteurs…», se désole Romain Léger.

Malgré ces dérives, les stages restent utiles pour 73% des participants, qui déclarent avoir modifié leur comportement après y avoir participé, selon l’étude. Et plus de la moitié plaident pour les rendre obligatoires, après un certain nombre d’années de conduite. Ainsi, le Syndicat national des acteurs de la Sécurité routière (SNASR) appelle à une réforme structurelle de la régulation du secteur et demande à la Délégation à la sécurité routière, déjà contactée par ses soins, de mettre en place des mesures concrètes, comme le suivi et une transparence des annulations en temps réel. Il sollicite aussi le renforcement des contrôles, avec sanctions automatiques en cas d’abus, et la possibilité de garantir la réservation pour les usagers en situation critique. A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Délégation à la Sécurité routière n’a toujours pas répondu à nos sollicitations.

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